Carnet de voyage : dans le sillon du serpent arc-en-ciel en Australie

Dans ce nouveau carnet de voyage, Léo Coulongeat (alias Erisphère), nous emmène dans une épopée au cœur de l’Australie en deux séquences : la première à vélo, la seconde à la rencontre d’une communauté aborigène au centre de cette île-continent.


Dans l’optique de compléter mon livre sur les déserts qui sortira à l’automne 2022, j’ai l’opportunité de découvrir une nouvelle zone aride : le centre de l’Australie. Pour démarrer en douceur sur ces terres arides, j’aimerais partager avec vous l’histoire de la création du monde compté par une des communautés d’aborigènes.

« Au début du Temps du Rêve, la terre était plate, sèche et vide. Il n’y avait pas d’arbres, pas de rivières, pas d’animaux et pas d’herbe. C’était une terre sèche et plate. Un jour, Goorialla, le serpent arc-en-ciel, se réveilla de son sommeil. Il traversa toutes les parties de l’Australie sèche, son grand et long corps avait creusé de grandes rainures dans la terre. Il cria « Grenouilles, sortez ! » et les grenouilles sortirent du sol, le ventre plein de l’eau qu’elles avaient stockée. Il chatouilla les grenouilles jusqu’à ce que l’eau jaillisse de leur bouche et remplisse les gorges de la terre. Ces rainures ont formé les rivières et les ruisseaux que nous voyons aujourd’hui. À mesure que l’eau coulait sur la terre, l’herbe et les arbres commençaient à pousser et à colorer la terre. Maintenant qu’il y avait de l’herbe à manger et de l’eau à boire, Goorialla a réveillé les animaux. Le kookaburra a ri, le goanna a marché et le wombat est sorti de son terrier, tout cela pour la première fois. Le serpent arc-en-ciel a établi des règles auxquelles tous les animaux devaient obéir. Il a dit : « Tous les animaux qui obéissent aux règles seront récompensés en devenant des humains. Les animaux qui désobéissent aux règles seront punis. » Certains animaux ont suivi les règles et ont été récompensés en devenant des humains. D’autres animaux ont désobéi aux règles et ont été transformés en pierre qui fait les montagnes. Aujourd’hui, chaque fois qu’il pleut, on peut voir le serpent arc-en-ciel partager ses belles couleurs avec les gens au sol« .

Aujourd’hui le désert constitue les deux tiers de cette île-continent habitée depuis au moins 60 000 ans par des peuples autochtones qu’on appelle les aborigènes, qui en 2016 représentaient 3,3 % de la population. Le désert australien abrite des carrières d’ocres et de pierres à tailler, des plaines parsemées de plantes comestibles ou médicinales, des cordons dunaires, des collines et une multitude de trous d’eau. Les « richesses » et la diversité de ce désert ont permis aux semi-nomades de sillonner les zones arides dans une relative abondance avant que leur mode d’existence ne s’effondre en grande partie à cause de la colonisation violente et leur sédentarisation forcée dans les réserves.

Je m’enfonce dans le désert avec un premier arrêt dans la ville d’Alice Springs, en plein milieu du pays, pas très loin du centre géographique de cette île. À première vue, je note une certaine ressemblance avec les Etats-Unis : de grandes avenues quadrillées, des fast-foods, de grandes enseignes et des habitants blancs pour la plupart et anglophones.

Parallèlement à ce premier tableau, on croise beaucoup d’aborigènes dans les rues. Je me sens assez mal à l’aise en observant ces deux mondes dont l’un a pris le pouvoir sur l’autre depuis 200 ans, mais où les plaies ne semblent pas encore refermées.

Je m’imagine ces personnes assises dans la poussière du désert depuis des dizaines d’années, sans bouger, observant cette ville pousser sur leur terre rouge.

La ville d’Alice Springs
Une auberge de la ville

Mais je suis à la porte du désert, ce type de région qui m’attire tant et qui vibre en moi : je m’empresse de m’y enfoncer d’avantage.

Sur mon chemin, je rencontre Conan un australien-japonais qui traverse le pays à vélo. Nous avons un parcours de vie similaire, il est simple et curieux et nos énergies semblent connectées. Il est là comme moi pour s’imprégner d’un monde éloigné et inhospitalier, se frotter à l’inconnu pour apprendre et se façonner.

Quelques magasins de vélo plus tard et j’ai loué le nécessaire pour partir plusieurs jours en sa compagnie.

À condition d’être bien préparé, la marche et le vélo sont des moyens très intéressants pour découvrir un désert. La lente vitesse de voyage se synchronise avec l’ambiance calme des zones arides. C’est un moyen parfait pour observer l’impact de la chaleur et du vent sur son corps, deux des principales caractéristiques du désert.

Dans son livre Désert Solitaire, Edward Abbey raconte comment il imagine le futur du tourisme dans les parcs nationaux désertiques des États Unis. Il explique que si nous laissions nos voitures pour visiter les parcs à vélo, à pied ou à cheval, psychologiquement la taille des Etats-Unis serait démultipliée. Ce serait également pour lui un moyen évident de limiter la destruction de la faune et la flore qu’il voit s’effriter au fil des années

Pendant ce périple j’observe tout ce que la vitesse d’une voiture rend invisible : les toiles d’araignée, les fourmis, les traces sur le sable de tout ce qui vit ici. Je sens et entend également tout ce que l’habitacle d’une voiture nous enlève : l’odeur des eucalyptus, le bruit du vent, la présence des animaux qui se rapprochent ; comme ce chien sauvage qui aboie pas loin de nous, surpris de nous voir sans nous avoir entendu.

Kangourou gris
J’ai rapidement arrêté de chercher le nom de ce spécimen, par effroi, après avoir tapé « type d’araignée Australie » sur Google, tu veux essayer ?

C’est également une expérience intéressante dans la pratique photographique. La fatigue du voyage sur deux roues me force à avoir une vision différente. L’énergie à déployer pour arrêter ce petit convoi, sortir le matériel et faire des prises de vue est non négligeable et me pousse à être plus précis sur les clichés que je prends. Les photos que j’ai prises pendant ce voyage à vélo sont comme imprégnées de la sueur de mon corps et des moments de doutes que j’ai eu face au vent, au soleil, et à la déshydratation.

Lorsque vient la nuit et le campement, la démarche photographique s’adoucit, je reprends le temps de cadrer à mesure que mes muscles se relâchent.

Pause régulière en plein journée

Je croyais que le soleil ne se coucherait jamais après cette journée d’horreur et de douleur […]. La nuit comme la mort sont une bénédiction, et l’ENFER lui-même l’objet de nos ferventes prières

William Henry Tietkens, explorateur du désert australien au XXe siècle

Nous vivons quelques échecs passionnants comme la tentative de traversée d’un canyon complètement ensablé où il est impensable de pousser nos vélos de 50kg. On commence à s’y enfoncer, on s’arrête, on observe, et la magie vient à nous. Un chien sauvage passe, des perruches roses chantent, et forcément, Australie oblige, une araignée vient se poser sur nos affaires au petit matin.

Surprise au petit matin

Les derniers jours nous rejoignons les contreforts du MacDonnell National Park qui nous offrent des canyons remplis d’eau. Sur le chemin vers un bassin, mon ami australien m’explique que cette vision des eucalyptus dans la rivière asséchée est pour lui l’image qui représente le mieux le désert australien. C’est sur ce petit paradis que je finis mon périple à vélo, pour en commencer un autre bien différent.

Vision de l’Outback par Conan
Cohabitation

Cela fait longtemps que je cherche à rencontrer des aborigènes mais je n’ai jamais trouvé la bonne façon de le faire.

Dans certaines régions désertiques où des peuples primaires vivent, il est possible d’aller à leur rencontre avec des circuits organisés pour les touristes. Je me suis toujours refusé à cette méthode. Je trouve que ces rencontres semi-forcées entre modernité et histoire placent ces communautés dans un cadre de subordination indirecte. Avec ce genre d’expérience, je me serais senti comme un voyeur, un espion, un imposteur.

Ici, j’ai l’occasion de vivre pendant quelques jours avec une communauté aborigène par le biais d’une ONG.

Le NPY Women’s Council est une organisation dirigée par des Anangu (plusieurs groupes aborigènes) qui fournit des services sanitaires, sociaux et culturels dans la région de Ngaanyatjarra Pitjantjatjara Yankunytjatjara (NPY) en Australie centrale.

Je m’enfonce dans le désert de Simpson où je rejoins plusieurs femmes du NPYWC qui travaillent avec des familles dans une communauté de 150 personnes. Cette zone est une belle représentation de la terre connue sous le nom de Centre Rouge, marquée par la couleur du sol.

Nicole, qui vit dans la communauté toute l’année, travaille en ce moment avec 8 familles en particulier. Elle est chargée de développer le lien social, le bien-être des enfants et des familles, et elle développe diverses activités avec les jeunes.

Les femmes du NPYWC commencent leur journée de travail par un lever de soleil.
Centre de santé pour enfants
Enregistrements de chansons dans la langue locale

Je rejoins également d’autres membres du personnel du NPYWC, venus travailler sur la nutrition des enfants. Ils m’expliquent l’impact de l’introduction de la farine et du sucre pour les Anangu par la colonisation.
Leurs organismes ont du mal à supporter les mauvais produits manufacturés qu’ils consomment via le magasin communautaire.

Les nutritionnistes ont plusieurs objectifs : éduquer et soutenir les jeunes parents en leur apprenant les bases de la cuisine avec les produits trouvés dans le magasin communautaire, aider à la nutrition des femmes enceintes et des nouveau-nés et expliquer les notions de base de la nutrition.

L’épicerie du village

Parmi les différentes activités que ces femmes proposeront pendant mon séjour, l’une d’entre elles est la collecte de Witchetty grub.

Historiquement, ces larves sont les insectes du désert les plus importants pour les Aborigènes et ont toujours été un élément de base de leur alimentation.

Voici les étapes à suivre pour les récolter :
– Repérer les mues larvaires sous un certain type d’acacia.
– Creuser jusqu’aux racines de l’arbre
– Casser les racines et récupérer les vers qui s’y nichent.

L’une des caractéristiques majeures de ce peuple réside également dans leurs histoires comptées qui font partie d’une des cultures les plus anciennes de la planète. Chaque pierre, plaine, colline ou trou d’eau sont devenus des sites sacrés et nommés par des toponymes. Chaque peuple s’est identifié avec certains de ces sites reliés par des itinéraires de chants qui maillent tout le continent : les Dreaming Stories (Histoires Rêvées).

Nous chantous pour la terre, nous chantons sur la terre. Nous sommes cette terre. La terre chante pour nous.

Cuisson de queues de kangourou dans le lit d’une rivière

Ces histoires anciennes ont souvent été décrites comme un moyen de parcourir de grandes distances sans carte, mais elles sont bien plus que cela. Ces histoires sont chantées par les Aborigènes pour créer et rétablir des liens vitaux entre les personnes et les lieux. C’est également un moyen de transmettre leurs croyances dans la création de la vie, des personnes et des animaux.

Voici deux histoires révées provenant d’une communauté aborigène située plus au nord.

L’arbre Marawili

« Lorsque Guwak arriva à destination, elle vit un grand arbre, appelé Marawili ; il se tenait là avec des branches comme des bras accueillant Guwak. L’arbre Marawili m’attend. Guwak grimpa sur l’arbre. Je monterai sur cet arbre et, d’ici encore, j’appellerai et chanterai les noms des lieux de Yirritja, pour leur dire que je suis ici. » 

Le feu

« Nous allumons un feu
Nous guidons la flamme
Pour transmettre notre histoire
Pour transmettre notre nom
Nous guidons le peuple
Unis comme un seul homme
Nous sommes les gardiens
Du soleil de demain. »

Un enfant creuse pour trouver de l’eau

Ces jours passés dans cette communauté m’ont montré une belle forme d’humilité et d’innocence chez ces gens. Je me souviendrai toujours de leurs visages rayonnants lorsqu’ils regardent le paysage désertique.

Aujourd’hui, coincés entre deux moments de l’histoire, les Aborigènes luttent pour se (re)construire et ont leur avenir entre les mains d’ONG comme le NPYWC.

Retrouvez l’intégralité des carnets de voyage de Léo Coulongeat.

 

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  1. Merci pour ce résumé de carnet de voyage. D’un point de vue photographique, le climat et l’environnement doivent être particulièrement nocifs pour le matériel. je vais voir si le photographe en parle sur une autre de vos pages.