Musée Albert-Kahn : en immersion dans les Archives de la Planète, collection d’images unique au monde

Après six ans de travaux, le musée départemental Albert-Kahn ouvre à nouveau ses portes le 2 avril 2022. L’occasion de découvrir le nouveau bâtiment, signé de l’architecte japonais Kengo Kuma, un nouveau parcours immersif au coeur des “Archives de la Planète”, la collection de photographies et de films exceptionnels du banquier philantrope Albert Kahn, ainsi que la première exposition temporaire “Autour du monde. La traversée des images, d’Albert Kahn à Curiosity” accessible jusqu’au 13 novembre 2022.

Musée Albert-Kahn

Les Archives de la Planète, une collection d’images unique au monde

Albert Kahn (1860-1940), banquier mécène à l’origine de nombreuses fondations pour “favoriser l’entente entre les peuples et la coopération internationale” est à l’origine des Archives de la Planète, une collection démesurée de photographies réalisées à l’autochrome et de vidéos enregistrées au cinématographe, d’après les inventions des frères Lumières.

Albert Kahn
1914 : Albert Kahn au balcon de sa banque, 102 rue de Richelieu à Paris – Crédits : CD92 Musée départemental Albert-Kahn

A partir de voyages entrepris entre 1909 et 1931 dans une cinquantaine de pays, par Albert Kahn lui-même, mais surtout par une douzaine d’opérateurs envoyés, plus de 180 000 mètres de pellicule cinéma (environ 100 h de projection), 4 000 stéréoscopies noir et blanc et 72 000 autochromes sont réalisés, constituant une collection d’archives unique pour documenter le monde.

Le Musée départemental Albert-Kahn situé à Boulogne-Billancourt a pour vocation de conserver et valoriser ces collections, tout en offrant une nouvelle présentation au grand public ainsi qu’un accès aux chercheurs.

Musée Albert-Kahn

Une exploration moderne des Archives de la Planète

Après des travaux débutés en 2016, le nouveau bâtiment du musée, conçu par Kengo Kuma, propose une nouvelle exploration plus moderne et sensorielle de la collection d’Albert Kahn. Le parcours permanent du musée permet d’appréhender les Archives de la Planète au travers de quatre thématiques d’exploration : géographie, ethnologie, voyage et actualité.

Musée Albert-Kahn
Musée départemental Albert-Kahn, nouveau bâtiment conçu par l’architecte Kengo Kuma
© CD92/Julia Brechler

Débuté en 1909, ce projet d’inventaire visuel mondial durera un peu plus de vingt ans, jusqu’en 1931, date à laquelle la banque Kahn fait faillite suite au krach boursier de 1929 à New-York.

L’object est clair : fixer par l’image “des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps”. Pragmatique, le banquier sait que le monde qu’il observe est en pleine transformation.

C’est au géographe Jean Brunhes qu’Albert Kahn confie la direction scientifique de ce projet, orienté autour des relations entre l’homme, la société et son environnement.

Pour mener à bien ce projet, Albert Khan souhaite utiliser les derniers procédés techniques. Ainsi, le premier procédé industriel de photographie couleur développé par les frères Lumières – l’autochrome – est retenu, malgré la nécessité d’une pose relativement longue pour capturer l’image. Et parce que l’image fixe n’est pas suffisante, le cinématographe inventé en 1895 est également adopté et sera transporté lors des expéditions. Des appareils de prise de vue stéréoscopique comme le Vérascope seront utilisés pour recréer le relief de la scène par vision binoculaire.

appareil photo stéréoscopique Vérascope
appareil photo stéréoscopique Vérascope

On l’aura compris, Albert Kahn était un amateur de nouvelles technologies, et l’exposition temporaire, qui retrace le voyage autour du monde d’Albert Khan (13 novembre 1908 – 11 mars 1909) l’explique bien.

C’est en partie pour cette raison que le musée a souhaité s’appuyer sur des technologies numériques pour présenter les collections, en plus de l’incapacité à présenter les orignaux en raison de leur fragilité.

Musée Albert-Kahn

Ainsi, le musée propose une expérience immersive et sensible. Dès l’entrée du parcours permanente, un mur de plus de 2 000 autochromes (9 x 12 cm) sur support rétroéclairé accueille le visiteur, de 1910 à 1930. Traversées par la lumière, ces images ont été sélectionnées de manière automatique – 1 autochrome tous les 26 – une façon comme une autre de choisir quelles archives affichées.

D’autres installations permettent de “rentrer” dans les Archives de manière ludique. Un grand espace en forme de silo au centre de la pièce accueille 4 murs d’écrans – géographie, ethnologie, voyage et actualité – où les collections s’animent tel un spectacle audiovisuel, en manipulant une tablette numérique.

Difficile également de ne pas aborder le large réseau d’Albert Khan, composé de personnalités politiques, hommes d’affaires, scientifiques, intellectuels et artistes qui gravitent autour de ses fondations. Un mobilier ressemblant à un commutateur digne des premiers bureaux centraux téléphoniques permet de relier des personnalités à des thématiques.

Enfin, un dispositif Planète d’Archives explore des fonds d’images et de films extérieurs, antérieurs ou contemporains des Archives de la Planète.

Un autre pan de l’exposition permanente est consacrée à la technique, mais nous n’avons pas pu la visiter.

Exposition temporaire : Autour du monde. La traversée des images, d’Albert Kahn à Curiosity

Du 2 avril au 13 novembre 2022, une exposition photographique temporaire est organisée à l’étage du bâtiment principal du musée. Elle revient sur le voyage au Japon entrepris par le banquier en novembre 1908, mais aussi sur les modes de représentation du voyage, en faisant dialoguer des images des collections du musée avec des artistes et photographes actuels.

Autour du Monde, Musée Albert-Kahn
Magali Mélandri, directrice déléguée à la conservation au Musée départemental Albert-Kahn et Clément Poché, chargé d’exposition au Musée départemental Albert-Kahn

Entre 1908 et 1909, Albert Kahn voyage autour du monde pendant 4 mois, accompagné de son chauffeur-mécanicien Albert Dutertre, qu’il a formé pour être opérateur photo et cinéma, et de son chargé d’affaires Maurice Levy.

Albert Kahn a noué des liens forts avec le Japon et ce troisième voyage d’affaire est le prétexte pour un tour du monde d’ouest en est, en passant par l’Amérique du Nord, le Japon, la Chine, l’Asie du Sud-Est, le canal de Suez et l’Italie. Tout au long de cette exposition, on retrouve le récit en photo et en écrit d’Albert Dutertre, qui tiendra un carnet de voyage très fourni.

Le tourisme en est encore à ses balbutiements mais l’entreprise d’Albert Kahn profite de ce voyage pour découvrir des sites remarquables, accompagnés des premiers guides de voyage et agences touristiques. Le banquier a notamment décelé l’intérêt des spectateurs pour les images exotiques, présentées via des systèmes innovants comme les projections autochromes de Jules Gervais-Courtellemont ou les guides de voyage immersifs Underwood, à l’aide du visionnage en reliefs d’images stéréoscopiques, accompagnées de cartes et informations.

Dispositif Underwood pour visionner les images stéréoscopiques tout en lisant des cartes et carnets de voyage.

Cette lecture linéaire du premier voyage photographique d’Albert Kahn est complété par des analyses plus transversales, comme “La fabrique des imagines”, qui revient sur l’avènement de la photographie pour constituer un inventaire des sites remarquables dans le monde. La Pyramide de Gizeh, en Egypte, en est l’exemple parfait, avec la présence dès le début du XXe siècle de photos souvenirs. Les selfies ne sont pas loin.

Parmi les initiatives d’Albert Kahn, on découvre également les écrits ou photos de certains lauréats des bourses Autour du Monde : Lucien Bourgogne (1899), Mathurin Méheut (1914), Alain Petit (1928-1929) ainsi que les récits de certains opérateurs, comme Frédéric Gadmer au Moyen-Orient. L’exposition présente également certaines lauréates de la Bourse, comme la journaliste Simone Téry (1927), Edmée Hitzel (1929-1930) ou l’historienne Eileen Power (1921). Cette dernière, en tant que femme, a été jusqu’à se travestir en homme pour passer la frontière avec l’Afghanistan.

Photos de Lucien Bourgogne
Photos stéréoscopiques en double exposition de Mariel Jean-Brunhes Delamarre

Voici une sélection d’autochromes réalisées par les opérateurs du projet Archives pour la Planète :

L’exposition explore également de nouvelles approches photographiques du voyage, avec par exemple le road-trip de Bernard Plossu au Mexique ou les photo-récits de l’australien Max Pam.

Avec “un tout petit monde”, l’exposition s’ouvre sur une séquence plus contemporaine et prospective, qui aborde le voyage et le tourisme à l’ère de la mondialisation, de la communication instantanée et des images omniprésentes sur les réseaux sociaux. Des projets photographiques comme ceux de Catherine Hyland, Wuhan Radiography de Simon Vansteenwinckel, The New Antiquity de Tim Davis ou encore la série Untitled de Marcus DeSieno qui réinterprète au collodion des images de mars prises par le robot Curiosity réinventent le voyage dans un monde aux distances abolies par le numérique.

En conclusion, cette première “nouvelle exposition” du musée départemental Albert-Kahn offre une scénographie réussie, avec une longue frise en leporello retraçant le périple autour du monde de Kahn, à l’origine des Archives pour la Planète. Un parcours en immersion, qui aborde également l’aspect des techniques de l’époque, le tout dans une scénographie épurée, moderne et élégante.

© CD92 – Julia Brechler

On notera également le Salon des Familles, un espace de 166 m² accessible gratuitement (sans billet) au 1er étage et qui permet de découvrir des modules ludiques et pédagogiques autour de la photographie et du cinéma. On peut y voir une sélection de 52 portraits autochromes avec un jeu d’indices, le “Studio Kahn” qui vous plonge dans la réalisation d’un portrait autochrome en numérique, un atelier “Un, deux, trois… Moteur !” qui permet de se mettre dans la peau d’un opérateur d’Albert Kahn en train de filmer un panoramique et un banc de visionnage d’autochromes et de films.

Informations pratiques :
Exposition temporaire Autour du monde. La traversée des images, d’Albert Kahn à Curiosity
Musée départemental Albert-Kahn
Du 2 avril au 13 novembre 2022
2 rue du Port, 92100 Boulogne-Billancourt
11h à 19h, fermé le lundi
Tarif : 8 € (tarif réduit 5 €, gratuit pour les -26 ans)