Depuis le 25 mai dernier et la terrible mort de George Floyd, énième rappel du racisme latent de nos sociétés, chacun est amené à repenser les notions de diversité et de tolérance.
Témoin de son époque, la photographie a notamment contribué à documenter l’avancée des droits sociaux et la fin de la ségrégation aux États-Unis. Rarement sur le devant de la scène, les photographes afro-américains furent pourtant parmi les premiers artistes à questionner la société américaine.
Loin d’être exhaustif, ce tour d’horizon veille à faire connaitre et à rappeler le parcours de quelques-uns des talentueux photographes afro-américains. Redécouvrez leurs œuvres majeures du début du XXe siècle à aujourd’hui et un autre regard sur l’American dream.
Sommaire
Gordon Parks (1912-2006)
Mises bout à bout, ses images dressent un portrait de la réalité américaine initié dans l’entre-deux-guerres qui capturera ses inégalités jusque dans les années 2000. Photographe, poète, réalisateur, mais aussi activiste, Gordon Parks a immortalisé au fil de ses photoreportages l’avènement du mouvement pour les droits civiques. Influencé par les images de Dorothea Lange, ce 15e enfant d’une fratrie d’agriculteurs du Kansas ségrégationniste reconnait chez les migrants et hobos de la Grande Dépression la même souffrance que sur les visages des siens.
La pauvreté, la violence, l’injustice et l’oppression : l’artiste autodidacte choisira de les combattre armé de son appareil photo. Premier photographe afro-américain à collaborer avec les magazines Vogue ou Life, Gordon Parks a inspiré toute une génération d’artistes. Son cliché A New American Gothic, clin d’œil au célèbre tableau de Grant Wood, donne à voir l’autre facette de cette Amérique aux apparences bien ordonnées.
Florestine Perrault Collins (1895-1988)
Florestine Perrault Collins fut une pionnière dans l’ouverture de la photographie aux femmes afro-américaines, un domaine exclusivement blanc et masculin au début du XIXe. Cette dernière s’initia à la photo dès ses 14 ans afin de subvenir aux besoins de sa famille. L’audacieuse et ambitieuse jeune fille dut cacher ses ascendances créoles pour devenir assistante-photographe dans une époque ségrégationniste, au cœur d’un territoire marqué par l’esclavage : la Nouvelle-Orléans. Plus tard, au moment d’établir son studio de portraits à domicile, elle choisira de fièrement assumer ses origines et d’immortaliser sur papier photo « la fierté, la sophistication et la dignité » des siens.
James Van Der Zee (1886-1993)
Talentueux musicien et photographe, James Van Der Zee était à la fois observateur et acteur du mouvement de la renaissance de Harlem, renouveau de la culture afro-américaine dans l’Amérique de l’entre-deux-guerres. James Van Der Zee fut le photographe de la classe moyenne new-yorkaise des années 20’ et 30′. Ses photos de studio ont une aura glamour qui donne à voir un autre visage de la communauté afro-américaine, bien décidée à profiter à leur tour des années folles. Le photographe réalisait ses portraits à l’aide d’accessoires de façon à créer des images narratives à la composition riche. Après quelques années d’oubli, dues à la mise sur le marché d’appareils photo familiaux, le travail de James Van Der Zee connu un nouvel essor dans les années 70 grâce à une exposition du Metropolitan Museum of Modern Art.
Ernest Withers (1922-2007)
Ses images du sud ségrégationniste, des groupes de blues de Memphis comme des boycotts de Montgomery ont documenté une tranche majeure de notre histoire contemporaine. Dans le cortège suivant Martin Luther King il était devenu impensable de ne pas y apercevoir Ernest Whiters qui prit la célèbre photo du pasteur à bord de l’un des premiers bus au lendemain de la ségrégation.
Ses photoreportages sont une chronique de l’identité afro-américaine dans l’Amérique de la seconde partie du XXe siècle. De la ligue de base-ball noire ou grèves ouvrières et lynchages publics, Ernest Withers immortalisa le quotidien au Tennessee. Fait marquant, il assista aux procès des deux responsables du meurtre raciste du jeune adolescent Emmett Till et capturera la parodie de justice qui accentuera l’essor du mouvement des droits civiques. Non moins porteuses de sens, ses photos des musiciens de Memphis rappellent les origines afro-américaines du blues, du gospel ou du rock’n’roll dans une Amérique en pleine transformation. Des rythmes dont longtemps le visage présenté par les studios fut blanc, sous les traits d’Elvis Presley ou de Johnny Cash.
Moneta Sleet (1926-1996)
Moneta Sleet fut le premier photographe afro-américain récompensé du prix Pulitzer pour sa photographie de Coretta Scott King lors des funérailles de son mari : Martin Luther King Jr. L’artiste engagé, alors reporter pour le magazine Ebony, connaissait bien le charismatique leader participant pleinement à l’essor du mouvement de 1955 jusqu’en 1965 à Selma, Alabama.
Moneta Sleet a également donné à voir la pluralité de l’American way of life : prisonniers du couloir de la mort ou finalistes de concours de beauté. Ses photos des célébrités afro-américaines comme ses photoreportages immortalisèrent plus tard le continent africain nouvellement affranchi de la colonisation.
Don Hogan Charles (1938-2017)
Premier photographe afro-américain engagé par le New York Times, son cliché phare sera sa photographie de Malcom X à la fenêtre de son appartement d’Harlem armé d’un fusil : une image forte publiée dans le magazine Ebony en 1964. Don Hogan Charles voulait livrer sa vérité au sujet des inégalités subies dans un milieu journalistique majoritairement blanc et se sentant peu concerné par les injustices ou rarement admis au sein de la communauté noire américaine.
Ses reportages demeurent le meilleur témoignage de ce qui est resté dans les mémoires comme le Long Hot Summer of 1967, une période douloureuse marquée par plus de 150 émeutes raciales. Sa photo immortalisant un jeune garçon afro-américain, mains levées devant la garde nationale résonne plus encore aujourd’hui.
Carrie Mae Weems (1953-)
Photographier lorsqu’à la question de la race se superpose celle du genre : voici l’inextricable challenge qui a animé Carrie Mae Weems. Native de Portland, l’artiste et féministe engagée a documenté en noir et blanc la ségrégation, la quête d’identité et d’égalité avec puissance.
Sa série Kitchen Table questionne la place de la femme dans un monde créé par et pour les hommes grâce à une unique et méticuleuse composition. Pour Carrie Mae Weems, la photographie participe pleinement à forger une société. Réalisée en 1995, sa série From Here I Saw What Happened and I Cried mêle textes et photos d’archives pour enfin donner une voix aux esclaves du XIXe.
Si la photographie rassemble, sans distinction d’origines ou de genre, c’est aussi grâce à la contribution de ces talentueux artistes et de leur engagement en faveur de l’égalité sociale. Il est primordial pour l’art photographique de faire une place à une autre lecture du monde, de promouvoir un regard porteur d’un héritage socioculturel qui apporte une autre dimension aux images.
Capturer l’histoire c’est aussi rétrospectivement la façonner. Ce combat, la nouvelle garde de photographes afro-américains continue aujourd’hui de le relever.