Inégalités hommes/femmes dans le monde de la photo : « Les Filles de la Photo » enquêtent

Les métiers de l’art et de la culture sont marqués par de grandes inégalités. La photographie fait partie de ces domaines dans lesquels les signes de réussite sont inégaux selon le genre. L’association Les Filles de la Photo a créé « L’Observatoire de la Mixité » afin d’observer les inégalités hommes/femmes dans le domaine photographique. Son rapport d’enquête paru le 5 février 2020 tente de répondre aux questions : à quel moment, et dans quelle mesure les inégalités entre les hommes et les femmes apparaissent dans le monde de la photographie ?

Florence Moll, co-présidente des Filles de la Photo, à l’occasion de la restitution de l’Observatoire de la mixité – © Les filles de la photo

Les Filles de la Photo, réseau professionnel féminin

En 2017, Marion Hislen, Chantal Nedjib et Florence Moll fondent l’association Les Filles de la Photo. Elle rassemble des professionnelles d’une vingtaine de métiers – notamment acheteuses d’art, galeristes, historiennes ou encore critiques – dans l' »écosystème de la photographie ». Elles souhaitent développer des idées pour valoriser la mixité et défendre la profession. « Mieux informées pour mieux agir » comme dit leur slogan.

L’Observatoire de la Mixité a été crée en 2018. Cette première enquête, dévoilée deux ans plus tard, a pour objectif de “recueillir des informations et de contribuer à l’effort collectif de recherche sur les mécanismes des inégalités hommes-femmes dans le monde de la photographie”. Au total, 210 photographes et une centaine de structures dans 7 domaines (écoles de photographie, prix et résidences, festivals, galeries, maisons d’édition, médias et agences de communication) – soit des informations sur plus de 8 400 personnes travaillant dans le monde de la photo – ont répondus à cette enquête afin d’obtenir une vision d’ensemble. L’enquête permet d’étudier les inégalités dans le domaine, afin de concevoir des actions ciblées et efficaces pour encourager la mixité et l’égalité.

La place des femmes dans le monde de la photo

Afin d’établir l’étude et d’en tirer des conclusions, il est nécessaire de savoir quelle place la femme occupe dans le monde de la photographie.

Le premier questionnaire révèle que les femmes sont plus nombreuses dans le monde périphérique de la photographie (60 % des employés sont des femmes). En revanche, elles sont minoritaires dans le métier de photographe lui même (37 %). Les femmes sont donc présentes, mais moins nombreuses en tant que photographe.

Elles sont concentrées dans les métiers moins visibles et moins souvent étudiés. Il y a donc une inégale représentation des femmes selon les domaines, les postes, et les types de responsabilité. La question est donc de savoir pourquoi, et à quel moment les écarts se creusent entre la vie de ces femmes et celle des hommes.

Femmes photographes

Le nombre de femmes photographes qui collaborent avec les structures interrogées est donc inférieur à celui des hommes. Afin de trouver l’origine des disparités, Les Filles de la Photo se sont demandées quelles étaient les différences entre femmes et hommes photographes dans leurs études et leur formation. Les femmes représentent 63 % des diplômés des écoles de photographie. Leur niveau d’étude est aussi supérieur à celui des hommes (48 % des femmes et 29 % des hommes ont bac+5 ou davantage). Si elles sont sous-représentées chez les enseignants en école de photographie (29% seulement) elles sont sur-représentées dans les postes en festival, avec “66 % des postes de direction relation exposants et relation VIP”.

Ce n’est donc pas le niveau d’étude qui est à l’origine des inégalités des femmes dans le métier.

Inégale mise en avant du travail

Même si les femmes sortent plus nombreuses diplômées des écoles de photographies, l’exposition de leurs travaux et l’attribution de récompenses sont à nouveau moins nombreux que pour les hommes. Cela commence dès l’attribution de bourses ou résidences, où les hommes et femmes candidatent aussi souvent (62% et 61% ont déjà candidaté) mais où les hommes ont une chance sur trois d’être sélectionnés, contre une chance sur quatre pour les femmes. Le constat est identique sur les prix de photo : si hommes et femmes candidatent dans les mêmes proportions (entre 66 et 70%), un homme sur quatre en obtient alors que pour les femmes ce taux descend à une sur sept. L’écart ne se creuse donc pas à la candidature mais à la sélection.

En ce qui concerne les expositions, l’étude indique que les femmes sont moins souvent exposées dans des lieux porteurs comme les festivals et musées, mais davantage dans des lieux privés non dédiés à la photographie : 13% des expositions de travaux produits par des femmes ont lieu dans un musée contre 18 % pour les hommes. Par contre, 25% des femmes ont opté pour un espace privé comme un bar pour exposer leurs photos.

En plus d’être moins bien exposé au yeux des spectateurs, le travail des femmes est aussi moins visible au niveau professionnel. En commandes et dans les médias, cet écart est présent dès la candidature, avec seulement 31% de femmes parmi les candidats qui contactent les services d’achat d’art pour présenter leur travail. Au final, 19% seulement des commandes print sont adressées à des femmes. Cet écart se retrouve dans les médias, avec 37% des candidatures seulement faites par des femmes et 31% des collaborations.

Dans les galeries, l’étude note que les femmes contactent moins ces lieux d’exposition, et sont aussi moins nombreuses à y exposer, alors même que ces lieux sont une porte d’entrée importante sur le marché de l’art et un “accès aux institutions de la culture”. Les femmes sont également moins présentes au sein des agences de photographie (20% en sont membres, contre 34% chez les hommes).

Disparités économiques

Ce qui ressort de l’étude, c’est que les femmes sont moins nombreuses à vivre de leur activité : 66 % des femmes contre 87 % des hommes. Elles ont dans 40% des cas également un autre métier que celui de photographe (contre 24 % des hommes). Conséquences directe de cette inégalité : elles sont deux fois plus nombreuses à être précaires que les hommes (44 % des femmes et 21 % des hommes ont des revenus de 15 000 € ou moins par an).

Les femmes sont donc plus nombreuses dans le domaine, mais elles sont aussi moins bien payées, plus précaires, et occupent moins souvent des postes à responsabilité.

Conclusions et pistes à explorer

Même si l’enquête de l’Observatoire de la Mixité n’est pas basée sur un échantillon représentatif de l’écosystème comme le précise le rapport, elle permet cependant d’analyser et comparer la situation des hommes et des femmes dans le monde de la photographie.

Les femmes sont majoritaires dans l’écosystème de la photographie mais une majorité d’hommes sont photographes. Les femmes sont ainsi plus présentes dans les métiers “moins visibles et moins souvent étudiés” et sont présentes dans les formes d’emploi les moins rémunérées. L’étude rappelle ainsi que l’on retrouve “la tendance générale du monde du travail” dans le monde de la photographie.

L’étude relève également que les femmes sont moins sélectionnées que les hommes et moins exposées en festival, récompensées par des prix photo ou éditées sous forme de livre. Cet écart ne se justifie pas par le nombre de candidatures dans ces domaines, excepté pour les galeries, services médias ou d’achat d’art où la procédure de candidature est moins explicite.

Le rapport recommande ainsi la mise en place de procédure de candidature formelle dans certains domaines pour offrir un meilleur accès pour les femmes. Suite à la sortie de cet observatoire, l’association Les Filles de la Photo va mettre en place des rencontres entre professionnelles de la photographie par métier pour informer, échanger et conseiller les femmes photographes, ainsi qu’un mentoring pour guider les femmes photographes dans la réalisation de leurs projets personnels.

Retrouvez le rapport d’enquête complet « Observatoire de la Mixité Femmes / Hommes 2018-2019 » sur le site Internet des Filles de la Photo.