© Samy Berkani

Carnet de voyage : à la rencontre de Hestur, le cheval islandais

Samy Berkani, photographe basé dans le Jura, a réalisé un projet photographique sur le cheval islandais dont il a réalisé une exposition et maintenant un livre. Dans ce carnet de voyage, il nous emmène avec lui à la rencontre de ces chevaux du froid.


« La légende veut que Odin, le dieu des dieux, possédait un cheval à huit pattes capable de se déplacer dans les airs et les mers. Il portait le nom de Sleipnir. »

Voyager en Islande, un rêve d’enfant

Ce carnet de voyage commence par une image, celle d’un petit algérien fasciné devant un documentaire sur des terres lointaines, glacées, volcaniques. J’ai grandi sous 40° à l’ombre, et comme certains Européens rêvent de palmier et de sable chaud, je rêvais d’immensités blanches et de vent polaire.

20 ans plus tard, je humai le vent de Reykjavik avec la sensation d’être dans mon élément. C’est ce qu’on appelle peut-être « se sentir chez soi« .

En parcourant l’île, j’y ai découvert des paysages incroyables, des curiosités géologiques, de l’eau sous toutes ses formes. J’étais cet enfant qui réalisait son rêve.

Dans ce rêve, un animal apparaissait régulièrement. De petites silhouettes au loin, perdues dans le blanc, m’intriguaient. Des hennissements emportés par le vent ont petit à petit éveillé mon intérêt. Mon histoire avec les chevaux islandais commençait.

© Samy Berkani
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J’ai parcouru l’île deux fois, en rencontrant des chevaux des quatre coins d’Islande. Au bord de l’Atlantique, autour des lacs, en montagne, au milieu des champs de lave. J’ai réalisé beaucoup d’images. Mais de retour en France, j’ai ressenti une frustration. Il me fallait vivre avec eux, mieux les comprendre, et surtout, aller dans leur intimité. C’est comme ça qu’on raconte des histoires sincères.

Je connaissais désormais les tempêtes islandaises. Je voulais voir ces chevaux dans le dur. Je voulais également vivre avec eux la nuit, les entendre sans les voir. J’ai donc décidé d’y retourner pour un séjour d’un mois au Nord de l’île. Une famille islandaise m’a accueilli au sein d’une ferme isolée. C’était également l’occasion de découvrir les humains, réellement, loin des circuits touristiques et des rapports d’argent. Les chevaux sont arrivés sur l’île avec eux, ils sont indissociables comme Odin et Sleipnir.

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La préparation

J’aime commencer mes projets photo sans appareil photo. C’est donc sans matériel que j’ai passé les premiers jours. Nous étions en février et il n’y avait pas de neige. Les Islandais eux-mêmes étaient étonnés de cette situation.

En absence de neige, les chevaux restent en montagne. Tant qu’ils trouvent de la nourriture, ils restent loin de l’humain. Le troupeau que je souhaitais suivre était invisible depuis le fond de la vallée. J’ai donc beaucoup marché/grimpé les premiers jours.

Une fois parmi les chevaux, j’ai passé mon temps à les observer, les laissant s’habituer à ma présence. C’était aussi le moment d’apprendre à les connaître. À chaque individu son caractère et sa personnalité. Certains ne se sont jamais approchés de moi, tandis que d’autres en voulaient à la bonnette de mon microphone.

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Jour de blizzard

La neige est vite arrivée. D’abord tout en douceur, puis accompagnée de vents violents.

La première chose que je faisais le matin était de regarder les nuages. J’attendais ce gris jaunâtre que tout le monde redoute. J’attendais que la nature se déchaine. J’attendais le blizzard. Et un matin de février, il était là.

Difficile d’expliquer pourquoi je l’ai attendu ce jour-là. Je savais qu’il allait arriver. Les chevaux étaient différents, calmes, ils étaient comme enracinés dans le sol gelé. Je me suis habillé et équipé pour l’extrême, je voulais vivre ce moment avec eux, tenir le plus longtemps possible.

Lorsque le blizzard est arrivé, je suis passé d’une bonne visibilité à un néant blanc. Le choc a été violent. Je découvrais la sensation de ne plus avoir de repères. Il ne s’agissait pas seulement de repères visuels. La force des vents mettait à mal la gravité. Par moments, je ne savais plus dans quelle position je me trouvais.

Entre deux vagues, je tentai de distinguer les chevaux. J’ai vite compris qu’il me fallait faire des rafales. À la première accalmie, je vois un groupe de quatre chevaux. Je cadre, déclenche pour une série d’une dizaine d’images. Je découvrirai plus tard que j’avais obtenu l’image que je souhaitais, une fois. Les autres images étaient des pages blanches.

J’ai tenu deux heures dans ce trouble. J’avais des douleurs insupportables aux mains et aux pieds. Mon boitier était complètement gelé. Je tentais tant bien que mal de libérer le déclencheur pour continuer. Lorsque je suis rentré, je me suis immédiatement endormi, je venais de courir 40km sans faire un pas. Au réveil, j’ai découvert les images.

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La nuit des géants

Chaque soir, après diner, je scrutai le ciel à la recherche de taches verdâtres. Cette obsession a beaucoup amusé mes hôtes. Mais ils ont fini par se prendre au jeu et surveiller le ciel avec moi.

Il y a eu une nuit d’aurores boréales, puis une deuxième, et d’autres encore. Chaque fois, les conditions n’étaient pas réunies pour réaliser des images. Des chevaux introuvables, au mauvais endroit, trop excités … Il y avait toujours une raison pour l’échec.

Une fin de journée de mars, le ciel était bleu, il n’y avait pas de vent (ce qui est rare en Islande) et la température était assez basse (-10°). Ce soir-là, je suis resté avec les chevaux au lieu d’aller diner. À 22h, le spectacle a commencé !

Les chevaux étaient en haut d’une butte, une situation idéale pour réaliser les images que je souhaitais. Je suis resté une heure couché au sol. Le spectacle que j’avais sous les yeux m’a tiré une larme. C’était magique ! les silhouettes des chevaux se découpaient sur le ciel. Ils semblaient porter des crinières vertes. Ce soir-là, j’ai pu immortaliser ce spectacle. Je savais désormais que mon histoire était complète.

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Le livre Hestur, Cheval en terre d’Islande

De cette aventure est d’abord née une exposition. Durant un an, j’ai partagé et fait connaître la vie des chevaux islandais en France. J’ai ensuite sorti le livre « Hestur, Cheval en terre d’Islande » en autoédition. Je prolonge aujourd’hui la vie de ce projet en continuant à exposer en France.

© Samy Berkani

Quant à l’Islande, c’est mon deuxième pays d’adoption. Je m’y sens bien, alors j’y retourne, pour d’autres projets, d’autres histoires.