Léo Coulongeat poursuit sa découverte des déserts du monde pour son projet From Désert. Nous vous présentons aujourd’hui le 4e carnet de voyage de sa série : Déserts Colombiens.
Quand je suis arrivé en Colombie, c’était l’inconnu. La pression backpackerienne ayant fait son effet, j’ai décidé d’y faire escale entre le Mexique et le Pérou. Comme l’Iran, ce pays ouvert aux touristes depuis seulement quelques années pourrait être source de riches rencontres.
Contrairement au Mexique où je voyageais en planifiant plus ou moins mes destinations, j’ai suivi ici la personne devant moi, l’odeur des ananas et la chaleur du désert.
En glissant sur Google Maps avec mon curseur j’ai découvert avec excitation que le désert de la Guajira se trouvait au bout du monde. Ou du moins, à l’une des extrémités de l’Amérique du Sud.
Le trajet pour aller là-bas est comme d’habitude, une épopée. La végétation disparaît de plus en plus et la nature laisse place à des cactus sous les roues. L’esprit des sables a toujours vogué en ma faveur. C’est bizarrement seulement la première fois que je rencontre une galère dans le désert. Après plusieurs heures de route, les boulons de roue de mon 4×4 se sectionnent à cause de la surcharge de la voiture, l’usure et la chaleur. On s’arrête juste avant que la roue ne sorte de ses gonds. Trois heures d’attente. On a soif et j’ai perdu 6 fois au pendu contre un allemand, je place tous mes espoirs sur la revanche au mondial. Le salut arrive enfin avec une voiture qui nous ramène les pièces, ici au milieu de nulle part. Sur le chemin en rentrant à la ville, je compte six voitures qui changent leurs roues crevées.
Plus j’avance, plus la pauvreté m’entoure. La population se raréfie comme les points d’eau, et la beauté du désert apparaît. Ce sont des paysages de désert sur la mer qui s’offrent à moi, me rappelant le désert du Sinaï en Égypte. En fin de journée, la voilà : la dune du bout du monde.
C’est la population Wayuu qui vit (ou survit) sur place dans des cabanes en bois. Sur la route, j’aperçois des écriteaux qui annoncent la vente de cabanes à 50€. Mon père avait commencé à me parler d’investissement avant que je lui annonce mon départ de Paris.
La région ressemble étonnamment à l’Afrique par l’accueil chaleureux des gens et les paysages désertiques. Malheureusement c’est aussi vrai pour les déchets, la pauvreté et les enfants qui arrêtent les voitures avec des bouts de ficelle pour mendier. Le drapeau symbolique de la région serait un arbre avec une poche poubelle au sommet…
Dans les villes environnantes, on me parle de l’histoire de ce désert qui tourne beaucoup autour de la contrebande : pirates, navires espagnol et français. Curieusement depuis quelques années la contrebande est revenue avec la grande vague d’immigration qui touche la région. Les Vénézuéliens qu’on croise partout dans le nord-est de Colombie viennent se réfugier, faire de la contrebande ou simplement survivre pour échapper à la crise.
Comme dans la majorité des pays accueillants des migrants, les Vénézuéliens s’occupent des petits boulots difficiles (cuisinier, femme de ménage …). Il en résulte des frustrations en termes d’emploi, la main d’œuvre devient moins chère et empêche l’emploi de certains Colombiens. L’autre problème est la déchéance des migrants qui mène à une augmentation de la criminalité. Trois jours avant mon arrivée là-bas, mon chauffeur de taxi m’explique que les habitants sont particulièrement craintifs en ce moment car le Venezuela vient de libérer des prisonniers qui ne feront sans doute pas exception à l’émigration vers la Colombie.
D’un autre côté, je remarque que les Vénézuéliens sont plutôt bien accueillis : leur lutte et leurs difficultés sont comprises. On m’explique aussi que depuis la guerre avec les FARC, les histoires du Venezuela et de la Colombie sont très liées. Il y a quelques années, beaucoup de familles sont parties se réfugier au Vénézuéla et sont revenues à la fin du conflit. Il semble naturel de les accueillir à leur tour.
J’ignore s’il existe une relation de cause à effet mais les déserts semblent avoir comme point commun de forts mouvements migratoires.
Quelques smoothies de Maracuya et une otite plus tard, je me retrouve dans le sud-ouest du pays avec mon backpack qui commence à fatiguer. Des mots doux, du fil à coudre et on continue la route pour le désert de la Tatacoa où j’ai entendu parler d’une certaine reine du désert. Ça sonne très Burning Man, j’aime bien.
Le premier signe que j’arrive dans un désert hors du commun est le touk-touk qui m’emmène au désert. D’habitude c’est plutôt des 4×4 à grosses roues. Quand on m’y dépose, je suis dans une zone humide et très verte avec des cultures et beaucoup de chèvres… Si tous les déserts se battent pour être le plus aride, celui-ci est sans doute le grand perdant. C’est en fait un désert que par le nom, il serait plutôt défini comme une forêt sèche et tropicale. Bon il y a des cactus, de superbes formations géologiques et il fait très chaud la journée, on valide quand même.
L’écosystème entre chaleur et verdure est très paisible pour un désert. Pour contrebalancer, j’apprends que la région est le premier producteur au monde de pavot (qui donne l’opium et la morphine). Les cartels sont présents.
Haut lieu de l’astronomie en Colombie, lors de mon passage ce sera plutôt un lieu de lutte d’éclairs.
La reine du désert n’est plus. C’est la première chose que je comprends en voyant des photos d’elle sur son rocking-chair. Lieu inhabité pendant des centaines d’années à cause de son infertilité déclarée par les colons, cette femme a été la première à venir s’installer dans ce « désert ». Selon la légende, elle serait la mère de tous les habitants. Elle aurait effectivement 12 fils, 76 petits-fils/filles et plus de 200 arrière-petits-fils/filles. Le fantôme de cette femme règne sur ce lieu et en particulier sur sa petite maison toujours debout qui fut la première construction.