Sergey et Olga Kamennoy présentent à Circulation(s) jusqu’au 6 mai 2018 leur travail sur le service militaire ukrainien à travers l’expérience du fils de Sergey, Taras Kamennoy. Ils nous expliquent les tenants et les aboutissants du projet The Album of a Discharged Soldier.
Olga Kamennoy est née à Moscou en 1978 et Sergey Kamennoy à Kharkov en Ukraine en 1959. Lauréats du prix Kandinsky de Moscou, ces deux artistes ont souhaité s’installer en France pour développer leur art. À côté de ce projet photo, le couple collabore depuis 17 ans pour réaliser des peintures et des dessins. Leurs travaux ont pour thème récurrent l’Ukraine, le pays d’origine de Sergey et où son fils, Taras, vit encore.
C’est en 2008 que le jeune Taras Kamennoy, encore à l’université d’art, est appelé pour effectuer un service militaire d’un an en Ukraine. À la fin de l’année, la tradition voulait que chacun produise un album photo retraçant leur séjour à la caserne. Fait à la main, le livre photo est une œuvre très personnelle que chacun décore comme il le souhaite pour pouvoir garder un souvenir de l’armée. Depuis quelques années, Internet a démodé cette tradition qui n’est plus respectée. Dès sa mobilisation, Taras a refusé de se soumettre à cet exercice commun qu’il trouvait peu artistique et donc peu attractif. En tant qu’artiste, il ne voulait pas produire quelque chose de si commun.
Son père, Sergey Kamennoy, a donc eu l’idée de réaliser un album photo à l’image de Taras. « Sergey a imaginé l’album de soldat démobilisé que son fils aurait pu faire en étant enfermé cette année-là dans un kilomètre carré, mais en étant très libre à l’intérieur », nous explique Olga Kamennoy. Bien qu’il soit fictif et non conventionnel pour l’armée, ce livre est composé de plusieurs photographies prises pendant le service militaire. De plus, il reprend des faits réels qui se sont déroulés à l’armée avec par exemple le bizutage, les bagarres, l’obsession sexuelle, l’oisiveté, l’ennui…
Ainsi, plus de 200 illustrations présentent le séjour de Taras à l’armée. Les photographies ont été faites par Sergey avec un téléphone portable ou de vieux appareils photo argentiques.
Le jeune soldat mobilisé n’a servi que de modèle au projet puisque c’est Sergey qui a créé l’ensemble des montages et qui les a assemblés de cette façon. Avec l’aide d’Olga, le couple a monté un véritable album de soldat démobilisé, mais plus artistique grâce notamment aux références avec l’histoire de l’art. Les anges de « La Madone Sixtine » peints par Raphaël, le cri d’Edvard Munch, le film Pulp Fiction de Tarentino ou encore les peintures de Gustav Klimt nous lient à la culture artistique de Taras.
La guerre en Ukraine, appelée aussi Guerre du Donbass, qui perdure depuis 2014, est totalement laissée de côté dans ce projet créé il y a dix ans. L’artiste Olga nous présente sa démarche et celle de son mari Sergey : « Nous n’avons pas abordé le thème de la guerre puisque les photos ont été prises bien avant, mais nous avons joué plutôt sur le thème de l’histoire de l’art avec des parallèles ainsi que sur le kitch et le folklore de l’album. »
Le conflit ukrainien a changé beaucoup de choses dans la vie des habitants, ne permettant pas de supprimer le service militaire. Quelques voix se lèvent contre l’armée, comme nous l’explique l’artiste : « C’est un petit peu compliqué avec la guerre, le financement, les conditions… »
Ainsi, ce projet dénonce beaucoup de choses qui ont lieu à l’armée et qui sont peu acceptables. Beaucoup de jeunes, comme Taras, n’ont rien à faire dans ce genre de service qui lui fait perdre une année sur son cursus universitaire. De plus, le bizutage est fréquent, donnant lieu à des bagarres et donc à des blessures, comme le montre la photographie ci-dessous.
Le livre final a été présenté aux Rencontres d’Arles et a retenu l’attention de l’équipe organisatrice du festival Circulation(s), d’où sa présence au 104 tout le printemps. Cependant, ce même album photo n’est pas bien vu à la douane ukrainienne à cause des photographies à caractère pornographique. Ces quelques photographies montrent des femmes nues pour dénoncer l’obsession des soldats durant cette année de service. « Ils ne pensent qu’aux filles ! » plaisante Olga.
Malgré ce blocage, Olga et Sergey continuent leur projet. À l’avenir, ils souhaiteraient sortir une édition limitée à une dizaine ou une quinzaine d’exemplaires faits main pour reprendre l’ensemble des codes qui régissent cet album du soldat démobilisé.
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