Touche-à-tout et originale, Françoise Huguier a su s’imposer dans l’univers de la photographie, mais aussi dans celui du cinéma, de la mode, du documentaire et du reportage. Elle sait alterner avec aisance photo instantanée, mise en scène, portrait et paysage et réalise ainsi une oeuvre photographique éclectique de plus de quarante ans.
Que ce soit en Afrique, en Sibérie, en Russie, au Japon, en Inde, celle qui se dit photographe documentaire « hors-sujet » est une grande voyageuse et, aujourd’hui, elle est autant connue pour son travail de « reporter pas vraiment classique » que ses photos de mode.
Née en France, la petite Françoise Huguier n’y reste cependant pas longtemps, puisqu’elle est ensuite élevée avec son grand frère au Cambodge dans une plantation d’hévéas tenue par ses parents. Mais un soir lors d’une fête organisée pour les planteurs, en 1950, elle est kidnappée à l’âge de 8 ans avec son frère lors d’une attaque organisée par un commando du Viêt Minh. Ils sont amenés aux camps des rebelles dans la jungle et y passent 8 mois au total, menacés par la faim, les bêtes sauvages et le paludisme. Leur libération sans rançon n’est possible que grâce aux liens du père avec la population locale.
Françoise Huguier ne retire pas que du négatif de cet épisode qui la marque néanmoins profondément : elle conclut dans un entretien avec Raymond Depardon qu’elle inclut dans son livre consacré à cet événement, « J’avais huit ans », que c’est ce qui l’a rendue « différente des autres et cette différence est devenue naturelle ». C’est cette différence, selon elle, qui a rendu son travail si particulier, l’amenant à s’intéresser par exemple à des lieux où les gens sont forcés d’y vivre.
Après leur libération, les deux enfants sont remis à leurs parents, et finissent par rentrer en France en 1951 où la jeune Françoise Huguier est élevée chez les bonnes soeurs. Plus tard elle s’émancipe de sa famille traditionnelle catholique.
Après son mariage en 1967 avec un ingénieur architecte, elle s’intéresse à la photographie par ce biais. Elle travaille dans un labo photo parisien où elle apprend les techniques de base. Puis, après une première collaboration avec le centre Georges Pompidou, elle se lance dans la photographie reportage en freelance en 1976 avec la publication de son premier reportage sur les cyclo-pousses indonésiens dans le magazine Zoom.
Elle multiplie les voyages et reportages, avant tout en Asie du Sud-Est, pour plusieurs magazines français, avant d’entamer en 1983 une collaboration de longue durée avec Libération. Cela lui permet de photographier le monde du cinéma, de la mode, de la politique et de la culture aussi bien en France qu’à l’étranger, et d’en constituer un portfolio foisonnant, composite et unique.
Elle travaille sur les défilés plusieurs fois par an, capturant à la fois les scènes et les coulisses, et c’est ce qui rend son style si particulier. Car elle explore la mode comme un documentaire sur le terrain, avec des perspectives différentes, et non dans un style classique. De plus elle use beaucoup du noir et blanc qu’elle manie avec une grande finesse comme si le monochrome était une couleur en lui-même, alors que l’utilisation des (vraies) couleurs, éléments centraux dans la mode, aurait été jugée plus appropriée.
Quand elle passe finalement à la photo de couleur vers la fin des années 1980 pour ses photos de mode, elle n’appauvrit néanmoins pas sa touche artistique mais l’enrichit en jouant avec les matières, les épaisseurs, les compositions, etc.
Dans le même temps, elle débute aussi des projets photodocumentaires plus personnels dans de nombreuses parties du globe, explorant différents sujets sociaux. Ainsi, c’est en 1989 qu’elle part pour l’Afrique, qui la passionne, sur les pas de l’auteur français Michel Leiris qui a rédigé un incroyable journal de bord d’une mission de recherche ethnologique dans les années 1930. En résultent 200 photographies en noir et blanc et un premier livre photo intitulé « Sur les traces de L’Afrique fantôme » et paru en 1990 avec lequel elle est sélectionnée lauréate de la résidence artistique de la Villa Médicis Hors Les Murs.
En tant que grande passionnée par les photographes africains, notamment maliens, tels que Seydou Keïta et Malick Sidibé, elle crée d’ailleurs en 1994 la première Biennale de la photographie africaine à Bamako.
En 1993, Françoise Huguier se consacre à un projet photo sur la Sibérie post-soviétique qui donne naissance à un livre, « En route vers Behring », qui lui permet d’être de nouveau lauréate de la Villa Médicis. Ce projet lui donne l’occasion de remporter un World Press Photo la même année.
Dorénavant photographe de l’agence VU, dans les années suivantes, elle retourne vers son premier amour, l’Afrique, et entreprend de photographier l’intimité des femmes au Burkina Faso et au Mali. Ses portraits de ces femmes, souvent en intérieur, dégagent à la fois une intense sensibilité et une forte détermination inspirée par ces regards rivés sur l’objectif. Françoise Huguier en publie un livre, « Secrètes », édité chez Actes Sud en 1996.
En 1999, elle publie un autre ouvrage intitulé « Sublimes », afin de reprendre une grande partie de son travail photographique sur la mode des années 1980 jusqu’à 1996.
Entre 2000 et 2007, la photographe prolifique séjourne deux mois par an dans des appartements communautaires de Saint-Pétersbourg. De ce projet titanesque éclosent de nombreuses photos dépeignant un certain désenchantement chez les habitants des « kommunalki » russes, ainsi qu’un film documentaire, « Kommunalka » (Les productions d’ici) présenté au festival de Cannes, et un livre, « Kommunalki » (Actes Sud), tous deux sortis en 2008. Ce projet se voit être exposé cette même année aux Rencontres photographiques d’Arles où elle est l’invitée d’honneur de Christian Lacroix.
Dans le même temps, la photographe renoue avec ses racines puisqu’en 2004 elle retourne au Cambodge pour la première fois, 50 ans après l’avoir quitté. Elle y réalise un projet très personnel et intimiste sur son enfance prisonnière du Viêt Minh. Elle accompagne son autobiographie, « J’avais huit ans », publiée en 2005, de photos en couleur et en noir et blanc, qui, bien que teintées de mélancolie et d’émotion, ne tombent pas dans le sentimentalisme.
En 2009, elle participe à une résidence d’artiste à Singapour pour accomplir un nouveau projet photodocumentaire sur la classe moyenne des HDB (Housing Development Boards) qui est ensuite exposé dans la cité-État pour le Mois de la photo. Parallèlement à son activité d’artiste photographe, elle est aussi sollicitée pour assurer le commissariat d’expositions et de biennales (Biennale de Bamako, Mois de la photographie à Paris, Biennale de Luang Prabang…).
Toujours aussi suractive, Françoise Huguier ne s’arrête pas là, et entre 2014 et 2015, à l’âge de 72 ans, elle retourne en résidence à Séoul qu’elle avait déjà documenté en 1982 : avec son projet « Virtual Seoul », elle y observe les changements drastiques d’une Corée devenue accro à la haute technologie, à la consommation de masse et le diktat de l’apparence à tout prix (au sens littéral du terme).
Et bien qu’en 2014, dans le cadre d’un partenariat entre la galerie Polka et la Maison Européenne de la Photographique, une rétrospective (« Pince-moi je rêve ») est consacrée à cette photographe, artiste et documentariste accomplie, elle semble à peine suffisante pour couvrir son oeuvre colossale.
Son univers photographique cosmopolite, marqué par un certain graphisme et une esthétique documentaire décalée, rend compte de son engagement permanent et de l’énergie que Françoise Huguier a apportée au monde de la photographie française. Que ce soit en portrait, reportage de société, mode, cinéma, elle a su appréhender différentes facettes de la réalité de son point de vue personnel et original.
N’hésitez pas à consulter le site internet de Françoise Huguier sur lesquelles vous pouvez retrouver ses projets documentaires.