Président de la République : montre-moi ton portrait officiel, et je te dirai quel président tu es

Le portrait officiel du président de la République en France est plus qu’une formalité, c’est une coutume de régime. Immortalisé par un photographe reconnu (ou non d’ailleurs) en début de mandat, il est affiché dans plusieurs lieux publics et notamment dans les hôtels de ville des 36 000 communes de France. Le présenter en mairie reste une tradition républicaine à laquelle tout le monde se soumet mais ce n’est cependant en rien obligatoire.

Toujours est-il que la publication de la photo officielle du nouveau dirigeant fait bien souvent l’objet de remarques et débats. Qu’elle soit jugée ratée ou réussie, académique ou moins formelle, prise par Depardon ou par Warrin, elle est un objet de communication qui permet de représenter le style du candidat, sa politique, sa volonté de rupture (ou de continuité) par rapport aux prédécesseurs, etc.

René Coty (1954-1959) - IVème République
René Coty (1954-1959) – IVème République

Et c’est comme ça depuis la IIIème !

Le portrait officiel du président de la République a son histoire, et elle commence en 1871 avec la IIIème République et son premier dirigeant, Adolphe Thiers. Cependant, il est à noter que les précédents chefs d’Etat pouvaient être représentés en peinture. Ainsi il n’y eut aucun « portrait officiel » de Louis-Napoléon Bonaparte en tant que président de la IIème République mais une peinture, en tant qu’empereur Napoléon III, réalisée par le peintre Franz Xaver Winterhalter.

Adolphe Thiers (1871-1873) - IIIème République
Adolphe Thiers (1871-1873) – IIIème République

Depuis Adolphe Thiers, les portraits officiels des présidents républicains deviennent une tradition à chaque début de mandat et sont tous des photographies, hormis le portrait de Jules Grévy (1879-1887) qui se fait immortaliser en peinture au Château de Versailles. On remarque alors peu d’évolution pour ces photos qui capturent le chef d’Etat, figé, en habit officiel et bardé de décorations, en plan américain (coupé à mi-cuisses). D’abord en noir et blanc, elles passent à la couleur avec la Vème République. Mais la véritable rupture, à l’esthétique moins formelle, se fera au milieu des années 1970.

Nous vous proposons ici une rétrospective historique et analytique des portraits de tous les présidents de la Vème République jusqu’à aujourd’hui.

Charles de Gaulle (1959-1969), le formalisme affiché de l’époque

Charles de Gaulle (1959-1969)
Charles de Gaulle (1959-1969)

La photo de l’homme de la Vème République ne tranche pas avec le modèle des portraits précédents de la IVème. La seule différence reste l’utilisation de la couleur. Charles de Gaulle pose ainsi dans la bibliothèque de l’Elysée, arborant la panoplie officielle du chef de l’Etat avec les décorations habituelles telles que l’écharpe de la Grand-Croix de la Légion d’honneur et le collier de Grand Maître de l’Ordre de la Libération (dont il est l’unique Grand Maître d’ailleurs).

Le choix du photographe est cependant un peu moins académique, puisque c’est le photographe Jean-Marie Marcel, portraitiste reconnu, qui est appelé pour accomplir cette tâche. Il incarne en effet une certaine modernité de par ses techniques d’éclairage peu habituelles à l’époque, puisqu’il utilise notamment des flashs électroniques et des torches. Pour ce portrait, le photographe, accompagné de son assistant Jean Mainbourg, utilise une chambre photographique à déclencheur souple.

Tout est savamment préparé : de la pose debout, au regard porté au loin sur sa gauche, en passant par sa main prenant appui sur deux livres (qui, pour l’un, pourrait être la Constitution), Charles de Gaulle semble avoir été dirigé par le photographe… Mais pas de bon coeur, puisque selon les dires de Jean-Marie Marcel, le général, pressé par son entourage de réaliser sa photo officielle, n’aurait pas été le modèle le plus compréhensif. Cependant, il est aussi dit que le président appréciait le style du photographe.

Cette image est empreinte d’une certaine solennité et retranscrit la rémanence du formalisme de l’époque et l’héritage encore prégnant, et visible de par la pose, de la peinture classique.

Georges Pompidou (1969-1974), dans la continuité

Georges Pompidou (1969-1974)
Georges Pompidou (1969-1974)

De par son portrait, l’on comprend immédiatement une chose sur le président Georges Pompidou : la volonté de continuité vis-à-vis de son prédécesseur. A peu de choses près, l’image reste la même : même lieu, même panoplie officielle, même pose, même décorations (sauf l’Ordre de Libération remplacé par le collier de Grand Maître de la Légion d’Honneur), même verticalité.

Georges Pompidou se démarque seulement par l’absence de livres sur lesquels s’appuyer et le regard porté au loin dirigé vers sa droite, et non sa gauche. Le cadrage semble un peu plus resserré, laissant moins d’espace au dessus de la tête, et un flou d’arrière-plan est ajouté.

C’est le photographe François Pagès qui immortalise ce portrait, représentant alors un choix un plus populaire que le précédent. Connu comme photographe d’actualité, il a surtout travaillé pour le magazine de Paris-Match qui commence à construire sa ligne éditoriale un peu « people »… Et le portrait du président rentre bien dans ce cadre !

Avec cette photo qui se confond avec celle de Charles de Gaulle, Georges Pompidou se montre ainsi comme son digne successeur, marquant non pas un changement mais au contraire une forte continuité politique.

Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), la rupture pour marquer la modernité

Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981)
Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981)

La véritable rupture visuelle du portrait officiel se fait avec la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. C’en est fini des poses classiques, et de ces costumes un peu guindés aux multiples médailles !

Le président se retrouve ici dans la cour du palais de l’Elysée, planté devant le drapeau français en mouvement, arborant seulement un costume simple de ville et la Légion d’honneur visible à la boutonnière. La tête droite et le regard dirigé vers l’appareil, ce point de vue et cette esthétique représentent une certaine innovation pour l’époque. Le cadrage resserré, s’arrêtant aux épaules, de même que l’orientation horizontale du portrait, marquent manifestement cette rupture avec le style traditionnel.

Le choix du photographe est lui aussi significatif, puisqu’il introduit le premier nom d’un photographe mondialement reconnu sur la liste des artistes de renom sélectionnés pour représenter les présidents. Ainsi, c’est Jacques-Henri Lartigue, déjà célèbre et exposé au MoMA, que requiert Valéry Giscard d’Estaing pour son portrait. D’abord réticent, ne souhaitant pas devenir un « portraitiste de cour », Jacques-Henri Lartigue finit par accepter et réalise cette photo très rapidement, sans préparation compliquée. Equipé d’un reflex plein-format, bien qu’il ait commencé la photographie avec une chambre 13×18, il propose un fond et un cadre répondant à l’envie d’innovation du dirigeant.

De par ce portrait, Valéry Giscard d’Estaing cherche à aplanir son image bourgeoise et à jouer sur les critères mis en avant lors de sa campagne, à savoir son jeune âge pour la fonction et sa modernité politique. Il tente ainsi de se montrer proche des Français.

François Mitterrand (1981-1995), la « force tranquille » de la culture

François Mitterrand (1981-1995)
François Mitterrand (1981-1995)

En 1981 avec François Mitterrand, on retrouve le lieu traditionnel de la bibliothèque de l’Elysée et le cadrage « portrait » (en vertical). Mais cette fois-ci, le président n’est pas debout, en costume officiel, le regard lointain. Ici le costume de ville et la Légion d’honneur à la boutonnière se suffisent. Il est assis, un livre dans les mains, et lève les yeux comme s’il avait été interrompu au milieu de sa lecture. Il regarde droit devant lui et semble laisser apparaître un sourire, lui donnant un air rassurant qu’il a mis en avant tout au long de sa campagne.

Le fait que cet ouvrage soit en fait Les Essais de Montaigne n’est pas anodin. En effet, François Mitterrand cherche à retranscrire une image d’homme posé et cultivé, attaché à la littérature française. Par ailleurs, le choix de la photographe Gisèle Freund, « née dans une riche famille juive de Berlin, rescapée du nazisme », qui a vu défiler devant son appareil photo de grands écrivains comme André Malraux, Jean-Paul Sartre, Marguerite Yourcenar ou encore Samuel Beckett, est lui aussi un symbole.

Quand elle tire le portrait du président, Gisèle Freund a déjà 87 ans, mais elle n’en reste pas moins une figure d’engagement reconnue. Elle utilise son Leica M pour l’occasion et représente François Mitterrand dans cette position de lecteur. Cependant, il est dit que la photographe elle-même, au contraire du président, a été déçue du résultat, considérant le portrait trop figé.

Cette photo officielle, prise par cette grande portraitiste, permet de condenser à la fois les figures de l’engagement, de la mémoire collective et de la culture française. Elle renvoie ainsi à l’image de « force tranquille » revendiquée pendant la campagne.

Jacques Chirac (1995-2007), plus de décontraction pour s’adapter à l’air du temps

Jacques Chirac (1995-2007)
Jacques Chirac (1995-2007)

Le portrait officiel de Jacques Chirac incarne lui aussi une certaine rupture avec les précédents, en grande partie pour le côté décontracté et le cadre extérieur. Sur cette photo, le président se tient debout, mais se penche légèrement en avant, avec les mains dans le dos et le sourire aux lèvres, comme s’il venait d’interrompre sa petite balade dans les jardins de l’Elysée.

Là encore, un simple costume de ville avec la Légion d’honneur fait l’affaire, ainsi qu’une chemise bleue rappelant le ciel du fond. Le président éviter de poser avec ses lunettes, peut-être pour éviter les reflets et/ou le côté trop sérieux que ça lui donne. Ce cadre naturel peut faire écho au côté rural de cet ancien député de Corrèze. En arrière-plan flou, le palais de l’Elysée se dessine, surmonté du drapeau national.

Mais alors que la photo en elle-même exhale un air décontracté et bucolique, la photographe qui en est l’auteur semble loin de cet univers. En effet, Bettina Rheims est une photographe connue pour ses séries de nus qualifiés de pornographiques à l’époque. Ayant beaucoup photographié au cours des années 1980, ses sujets de prédilection vont des strip-teaseuses, aux animaux empaillés en passant par les foules de jeunes androgynes. Lorsque l’on compare sa série « Chambre close » et le formalisme du portrait officiel du président, on comprend que ce choix à contre-courant soit jugé osé.

Bien que peu portée sur la politique et plutôt de gauche, ou du moins « pas du tout de droite », Bettina Rheims se montre fascinée par le personnage de Jacques Chirac. Avec ce portrait qu’elle réalise assez rapidement, avec un Rolleiflex 6×7 habituel, elle cherche à donner au président « l’allure détendue des grands héros de western ».

Nicolas Sarkozy (2007-2012), une représentation à l’américaine

Nicolas Sarkozy (2007-2012)
Nicolas Sarkozy (2007-2012)

Une fois de plus, c’est la bibliothèque de l’Elysée qui est utilisée comme décor pour le portrait officiel. Par ce biais, Nicolas Sarkozy montre ainsi un retour aux traditions et cherche à renvoyer à un style plus académique. La photo représente le président en costume de ville décoré de la Légion d’honneur toujours, se tenant debout devant une rangée de livres et aux côtés du drapeau français et du drapeau européen, qui est introduit dans un portrait officiel présidentiel pour la première fois. Il affiche lui aussi un léger sourire.

Selon certaines critiques, la présence des drapeaux, plus hauts que le dirigeant, rapetisse sa silhouette et lui donne l’impression d’être peu décontracté. Surtout, la mixité des deux drapeaux, dépliés côté-à-côte, font écho aux couleurs du drapeau américain ce qui peut représenter le symbole (recherché ou non) d’une politique internationale largement portée vers la première puissance mondiale.

Le choix du photographe est lui aussi significatif, de par son côté plus populaire et clinquant. Car, en effet, Philippe Warrin est connu pour avoir photographié les émissions de télé-réalité comme le Loft ou encore la Star Academy. Il a par ailleurs déjà réalisé pour Nicolas Sarkozy l’affiche de sa campagne. Ainsi, le but n’est pas ici de se faire tirer le portrait par un photographe célèbre mais plutôt de requérir un photographe proche et efficace dont on connaît le travail. La photo, prise avec un Mamiya numérique, s’est ainsi faite en moins de 20 minutes, en présence de la maquilleuse et de l’assistant uniquement.

Avec ce portrait, l’idée est de renvoyer aux traditions, peut-être même à l’image des anciens présidents comme Charles de Gaulle, et de trancher avec l’image de bonhomie de son prédécesseur.

François Hollande (2012-2017), un portrait « normal »

François Hollande (2012-2017)
François Hollande (2012-2017)

Retour aux jardins de l’Elysée pour ce nouveau portrait officiel ! Le cadre naturel peut encore une fois renvoyer à la France rurale, puisque François Hollande a lui aussi administré la Corrèze tout comme Jacques Chirac pour qui il a toujours montré un certain respect. Ici, le président adopte une pose en mouvement, la jambe en avant comme il commençait à marcher. Habillé d’un costume de ville et portant ses lunettes, il affiche un sourire tout en regardant l’objectif, se montrant au naturel, en mouvement vers l’autre, répondant ainsi à son idée de « présidence normale ».

Mais c’est justement cette pose, ce mouvement figé, qui est critiqué à la publication du portrait. De plus, l’arrière-plan où se dessine le palais de l’Elysée n’est pas laissé exempt de remarques. La présence des drapeaux français et européen, posés en longueur sur le bâtiment, soulève un débat : le drapeau européen est mal placé selon le protocole et devrait se trouver à droite du drapeau français (donc vu sur la gauche pour l’observateur), et les drapeaux ne doivent pas être posés mais doivent flotter, fixés sur une hampe.

Le choix du photographe par le président respecte la tradition de faire intervenir un nom célèbre, puisque c’est Raymond Depardon qui est à l’origine du portrait. Bien qu’ayant photographié d’abord avec un appareil numérique, puis son habituel Leica, la photo qu’il retient est réalisée avec un vieux Rolleiflex 6×6 des années 1960. Le format carré se démarque un peu des formats rectangulaires des portraits précédents.

Avec cette photo, François Hollande reprend le thème principal de sa campagne du « président normal », cherchant un cadre simple et moins institutionnel, moins communicant.

Emmanuel Macron (2017-?) ?

Dans les jardins ou devant les rayonnages de la bibliothèque du palais ? Debout ou assis ? En mouvement, le regard vers l’objectif ou de côté ? Il ne reste plus qu’à attendre pour découvrir le portrait officiel qui représentera Emmanuel Macron pour son mandat présidentiel.