© Amir Makar - AFP

Interview de Marina Passos, éditrice photo à l’Agence France-Presse (AFP) pour le Moyen-Orient

Fondée en 1944, l’Agence France-Presse (AFP) est une agence de presse mondiale et généraliste. Forte de ses 2 326 collaborateurs de 80 nationalités différentes, dont 1 575 journalistes, l’AFP est présente dans 150 pays et compte environ 200 bureaux au total, répartis sur 6 grandes régions internationales : Europe, Afrique, Amérique du Nord, Amérique Latine, Asie Pacifique, Moyen-Orient.

Marina Passos, collaboratrice de l’AFP depuis 14 ans, est éditrice photo au QG régional du Moyen-Orient de l’agence à Nicosie (Chypre). Dans ce témoignage, elle nous explique son parcours, ses expériences, les facettes de ce métier « invisible » et son évolution au fil des années.


Sommaire

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Marina, je suis brésilienne. J’ai fait des études en communication au Brésil. J’étudie la photo depuis que j’ai 14 ans. Après mes études, entre mes 21 et mes 23 ans, j’ai d’abord travaillé dans la presse au Brésil en tant que photographe.

Quel a été ton parcours en France ? Comment t’es-tu intéressée à la photo, puis en est venue à l’édition photo en agence ?

À 23 ans, je suis partie en France parce que je voulais faire un bac+5. En arrivant à Paris, je me suis dit que j’allais être photographe, mais on m’a tourné le dos parce que je ne parlais pas français à l’époque. Je pensais que l’anglais serait suffisant pour tout de suite trouver du travail. Mais ça n’a pas du tout été le cas. Donc j’ai appris le français pendant une année entière, et ensuite j’ai fait un bac+5 à l’Institut français de Presse (IFP). J’ai fait mon mémoire en sémiologie : c’était une étude sur les agences photo de presse sur la façon dont ils se vendent en images, quels visuels ils choisissent pour leur communication, pour leur matériel promotionnel.

© Baz - AFP PHOTO - Photo éditée par Marina Passos - Elle représente un moine grec orthodoxe présente une boîte contenant les ossements d'un petit garçon tué par les Mamelouks, retrouvés au sein du monastère Our Lady of Hamatoura au Liban (8 mars 2016).
© Baz – AFP PHOTO – Photo éditée par Marina Passos – Elle représente un moine grec orthodoxe présente une boîte contenant les ossements d’un petit garçon tué par les Mamelouks, retrouvés au sein du monastère Our Lady of Hamatoura au Liban (8 mars 2016).

Après ça, j’ai contacté l’AFP où j’ai pu faire un stage de 6 mois : j’ai préparé pour cette occasion tous les diaporamas de présentation pour le festival Visa pour l’image en 2003. C’était une année assez particulière parce que c’était l’année de l’invasion en Irak. Comme il y avait beaucoup de travail et qu’à cette époque l’AFP avait encore la politique d’envoyer ses éditeurs photo sur le terrain, à la fin de mon stage on m’a proposé un premier poste en tant qu’éditrice photo à Bagdad.

En quoi tes débuts, à Bagdad notamment, t’ont formée pour ton métier ?

Cela m’a apporté beaucoup d’expérience de travail, parce que j’étais dans le vif de l’actualité, sur le terrain, à vivre le conflit que je couvrais. J’étais le « direct validation » (DV), l’intermédiaire direct qui validait les visuels des photographes et les envoyait aux médias clients de l’AFP. Donc forcément ça m’a poussée à devenir consciencieuse, rapide, et capable d’aller directement au coeur du sujet.

L’AFP est une « agence grossiste » c’est-à-dire qu’on fournit du matériel journalistique pour de nombreux médias. Donc il faut que l’on soit rapide, que l’on remarque immédiatement la meilleure photo et ce n’est qu’ensuite qu’on prend un peu plus de temps sur la post-production. Au final ça m’a amenée à être capable de détecter les manipulations dans les images.

© Thomas Coex - AFP PHOTO - Photo éditée par Marina Passos - Elle représente deux écoliers palestiniens marchant le long d'un mur de l'école des Nations Unies de Beit Hanun, recouvert de graffitis, dans le Nord de la bande de Gaza le 9 mai 2016.
© Thomas Coex – AFP PHOTO – Photo éditée par Marina Passos – Elle représente deux écoliers palestiniens marchant le long d’un mur de l’école des Nations Unies de Beit Hanun, recouvert de graffitis, dans le Nord de la bande de Gaza le 9 mai 2016.

Par exemple il y a eu une histoire de photos manipulées à Fallujah, quand je travaillais en Irak en 2003 et qu’il y avait énormément de bombardements quotidiens.

Un soir, un photographe local freelance est arrivé avec des photos. Sur l’une d’elles, qui était assez forte, on voit un bébé au milieu de décombres. Mais j’ai eu un pressentiment en la voyant. Sur notre niveau, dans l’hôtel où on vivait et travaillait, il y avait aussi des équipes de la chaîne américaine CBS. Et alors qu’on observait cette photo, un journaliste de CBS est venu montrer une vidéo qu’il avait réalisé où l’on voyait des personnes amener le corps de ce bébé depuis l’hôpital proche et le déposer volontairement dans les décombres pour que la photo soit plus poignante.

En soi, la scène n’était pas « fausse », puisque la guerre tue en effet des enfants qu’on peut retrouver dans des décombres, ce qui arrivait en Irak. Mais le fait que le journaliste ait voulu manipuler une image pour pointer du doigt les bombardements et rendre sa photo plus forte était un problème d’éthique. Finalement, on a décidé de ne pas prendre la photo et de ne plus travailler avec ce pigiste.

Comment fais-tu alors pour reconnaître des photos manipulées et mises en scène ?

C’est quelque chose qu’on apprend, et c’est une des bases de notre travail d’éditeur photo à l’AFP. Avant, pour reconnaître une photo mise en scène, comme on était sur le terrain, on parlait aux locaux, on finissait par prêcher le vrai du faux. On faisait des recoupements avec des collègues, des recherches, on questionnait nos photographes titulaires, surtout quand il s’agissait d’une photo d’un pigiste que l’on ne connaissait pas.

J’ai un exemple : un jour ici au desk photo à Nicosie en 2013, un pigiste local nous a envoyé par email une photo de qualité vraiment médiocre, mais de très bonne composition. Et les très bonnes compositions sont rares, surtout chez les jeunes pigistes locaux parce qu’ils n’ont pas de formation en photo. Ce ne sont pas des photographes professionnels, ils arrivent juste à se fournir un appareil et à prendre des photos de ce qu’il se passe autour d’eux. Après que l’on ait validé la photo et que mon collègue ait commencé à la retoucher, on a eu un doute : on a fait des recherches sur d’autres médias et on s’est rendu compte que le pigiste avait juste volé une photo déjà existante qu’il avait trouvée sur internet. C’était en fait une photo d’un photographe du New York Times.

Aujourd’hui on a des techniques plus simples pour tracer une photo : on peut vérifier les métadonnées de l’image dans un logiciel comme Photoshop ou Lightroom, et si elles sont inexistantes ou incomplètes, on n’utilise pas la photo. Mais la difficulté réside dans le fait que tout est à distance, qu’on ne rencontre plus les gens et que maintenant les manipulations peuvent être moins visibles, plus subtiles.

Le desk photo de l'AFP à Nicosie (Chypre)
© Amir Makar -AFP) – Marina Passos éditant des photos reçues dans la journée au desk photo de l’AFP à Nicosie (Chypre).

Alors on suit des règles bien établies, surtout pour une photo reçue d’un pigiste ou freelance, donc qui n’est pas de l’AFP et qu’on ne connaît pas : on s’assure de la fiabilité de la source, on vérifie les métadonnées des images, on communique un minimum avec le photographe pour obtenir des infos et les recouper avec ce qu’on sait, on lui fait signer un papier sur les droits d’auteur nous autorisant à utiliser ses images. Et au moindre doute, on n’utilise pas la photo.

Quelle expérience de vie tes missions t’ont-elles apportée ?

Aujourd’hui on parle beaucoup de stress post-traumatique pour tous ceux qui partent en zone de conflit, soldats, mais aussi journalistes et autres travailleurs (humanitaires, etc.). Mais il y a 14 ans, personne ne pensait aux effets d’une telle expérience de travail sur un terrain en guerre. Quand j’ai quitté l’Irak en 2004, après avoir été sous les bombardements matin et soir, je n’allais pas bien psychologiquement. J’ai été sous traitement quelque temps pour que je puisse me réhabituer à une vie normale.

J’ai appris à connaître mes limites. Quand j’étais sur place au moment de la guerre au Liban, à Beyrouth pendant un mois, mon expérience passée m’avait servi. Je savais qu’il fallait essayer de garder une certaine distance avec ce qui se passait, ce qu’on voyait, etc. Aujourd’hui, avec la crise des médias, leur massification, il n’y a plus ce problème puisqu’aucun éditeur photo ne part sur le terrain depuis 2011-12, par manque de budget alloué à ce type de missions.

Après avoir quitté l’Irak, je suis venue à Chypre, dans la base régionale de l’AFP pour le Moyen-Orient. Je suis restée ici 3 ans en faisant quelques missions dans la région. J’ai couvert la guerre au Liban par la suite pendant plusieurs mois, ce qui m’a aussi apporté beaucoup dans ma capacité à sélectionner les bonnes images et repérer les manipulations. Ma dernière mission avant de revenir à Chypre a été de couvrir le conflit israélo-palestinien à Jérusalem.

Si tu devais décrire ton métier à quelqu’un qui ne connaît pas du tout, comment le définirais-tu ?

En tant qu’éditrice photo je choisis les images les plus pertinentes et éloquentes parmi les photos reçues par l’agence à propos d’une actualité. Je transforme ces photos en un produit de presse qui délivre une information exacte, précise et neutre, avec la légende que l’on écrit par exemple. Je traite ces images sur Photoshop : on recadre, on modifie la balance des couleurs, les tonalités, les températures et les niveaux, et c’est tout. On n’ajoute rien, on ne manipule rien. L’essentiel généralement c’est le recadrage pour que l’info et/ou le sujet de l’image soient bien mis en avant. C’est le minimum pour rendre la photo plus harmonieuse.

En plus des 6 éditeurs photo à Nicosie, nous travaillons aussi avec deux chefs, le responsable photo régional et son adjoint, qui connaissent très bien la région. Donc si jamais nous avons des doutes sur l’authenticité d’une image ou son risque de publication, ce sont eux qui vont trancher. Et bien que l’on édite et retouche les photos chacun de notre côté, on se consulte beaucoup entre nous. C’est vraiment un travail d’équipe : on travaille avec les éditeurs, les photographes, les responsables…

AFP Nicosie desk photo
© Amir Makar (AFP)

Une journée type au desk photo de Nicosie ?

En tout, notre desk photo couvre l’actualité de 25 pays : tout le Moyen-Orient, toute l’Afrique du Nord, les pays du Golfe, l’Iran, etc. La charge de travail est donc constante, mais peut varier d’un jour à l’autre. Parfois on peut rester du matin jusqu’au soir après 22h.

Quand on arrive le matin, il faut que l’on soit au courant de toutes les actualités, que l’on ait fait des recherches sur toutes les infos importantes de la région. Ensuite on vérifie notre boîte qui réceptionne toutes les photos de nos photographes et des pigistes, afin de contrôler le travail de chacun et voir quelles vont être les prochaines photos envoyées. Et après avoir reçu 50 photos d’un même photographe par exemple, il ne faut en choisir qu’une petite dizaine.

Depuis que tu as commencé comme éditrice photo pour l’AFP, qu’est-ce qui a changé dans le nombre et le traitement des photos que vous recevez par jour ?

Il y a une rupture bien définie, et notre desk photo a beaucoup plus de travail à gérer depuis quelques années. Quand je suis rentrée d’Irak en 2004, le seul conflit de la région en cours c’était celui d’Israël-Palestine et l’Irak. Donc on avait moins de travail en zone de conflit, il n’y avait rien en Libye, en Égypte, en Syrie : on ne recevait que très peu de photos de ces pays, quelques-unes par mois seulement, surtout sur l’architecture, les villes, etc.

C’est après le Printemps arabe (2011) que tout a changé pour nous. Déjà le matériel en lui-même avait bien changé : les appareils photo étaient devenus plus performants, la qualité des images meilleure (on est passé de 6 mégapixels à 32 mégapixels en moyenne aujourd’hui), les logiciels plus efficaces, etc. Au vu de la nouvelle charge de travail et du nombre de photos reçues par jour en constante hausse, on est passé de 4 à 6 éditeurs photo.

Aujourd’hui, pour le desk photo à Nicosie seulement, on peut recevoir jusqu’à 500 photos par jour, et on peut en sélectionner 200 à envoyer à nos clients. L’AFP en elle-même reçoit plus de 3 000 photos par jour, près de 250 vidéos et doit sortir plus de 7 000 dépêches.

© / Menahem Kahana - AFP PHOTO - Photo éditée par Marina Passos - Cette photo représente une jeune mariée israélienne, Yael Levi, accompagnée de ses amis et ses proches vers la place près de la "Cave des Patriarches", aussi connue sous le nom de la Mosquée Ibrahimi et lieu saint des deux communautés juives et musulmanes, lors de son mariage (22 septembre 2016).
© Menahem Kahana – AFP PHOTO – Photo éditée par Marina Passos – Cette photo représente une jeune mariée israélienne, Yael Levi, accompagnée de ses amis et ses proches vers la place près de la « Cave des Patriarches », aussi connue sous le nom de la Mosquée Ibrahimi et lieu saint des deux communautés juives et musulmanes, lors de son mariage (22 septembre 2016).

Combien de temps accordes-tu à chaque image ?

Du fait des délais et de la constante évolution de l’actualité, on fait ça très rapidement. Avec l’expérience, on finit par avoir l’oeil pour les bonnes photos et repérer celles qui sont douteuses. Après on passe 2-3 minutes à traiter l’image légèrement, la recadrer et à écrire une légende adaptée.

Le texte est une partie importante de notre travail : on applique la fameuse règle du journalisme afin que la légende réponde aux cinq W « What, Who, Where, When, Why » (Quoi, Qui, Où, Quand, Pourquoi). Bien sûr il peut arriver qu’un éditeur photo fasse des erreurs, mais il faut faire des vérifications pour rédiger une légende qui soit neutre et précise. En fait le desk photo travaille main dans la main avec les reporters texte qui se trouvent dans la même newsroom que nous.

La communication est essentielle surtout si le photographe qui envoie une photo n’y ajoute pas de texte clair. Il faut donc contacter le responsable du service texte pour qu’il appelle le pigiste en question et demande plus d’informations. C’est un vrai travail d’équipe entre le photographe et l’éditeur, le service texte et le service vidéo. Sans oublier l’aide que nous apportent les techniciens pour notre réseau, nos logiciels, pour nos transmissions d’images, etc.

Quels sont les types d’images que vous recevez le plus ? Et qu’est-ce qui diffère par rapport aux bureaux de l’AFP des autres régions ?

Les thèmes des photos que l’on traite ont évolué depuis que j’ai commencé. Aujourd’hui, les pays du Golfe sont devenus un pôle pour le sport. En hiver, il y a les équipes du FC Barcelone et du Real Madrid qui s’entraînent ici. On y trouve du golf, du tennis, du cricket, du vélo autour d’Oman par exemple. Le sport est devenu leur niche, ce qui fait qu’on couvre tous ces événements.

Bien entendu, on reçoit surtout beaucoup d’images de guerres et de conflits. Avec plusieurs pays en guerre ou en situation difficile, c’est le gros de l’actualité. Entre l’Irak, la Syrie, la Libye, le conflit Israël-Palestine, l’Égypte, tout est sur le point d’exploser. La politique et le sport viennent juste après.

Les thèmes photo traités par les autres desks photo sont un peu différents. En Europe par exemple, il y a plus de culture, de mode, etc.

© Karim Sahib - AFP PHOTO - Le desk photo de Nicosie reçoit aussi beaucoup de photos d'événements sportifs (golf, cricket, polo, course de chevaux, etc) - Cette photo a été prise durant le festival Liwa Moreeb Dune 2017 et représente une course de chevaux pur sang arabes dans le désert de Liwa en janvier 2017
© Karim Sahib – AFP PHOTO – Le desk photo de Nicosie reçoit aussi beaucoup de photos d’événements sportifs (golf, cricket, polo, course de chevaux, etc.) – Cette photo a été prise durant le festival des Dunes Moreeb dans le désert de Liwa 2017 et représente une course de chevaux pur sang arabes dans le désert en janvier 2017.

Le photojournalisme fait souvent face à la question d’éthique « Peut-on tout photographier ? »De même, « peut-on tout publier » ? Quels sont les critères de sélection ?

Aujourd’hui, le respect de la dignité humaine prime. On sélectionne les photos très violentes et sanglantes uniquement si on n’a pas le choix, si on a reçu peu de photos différentes sur cet événement particulier et si elles apportent une information essentielle sur ce qui s’est passé. Si on a autre chose à montrer, moins sanglant, on privilégie la dernière et on rejette la plus violente. Mais il faut comprendre aussi que le but n’est pas de cacher la réalité ! Si un conflit est un véritable enfer, c’est important de montrer la réalité telle qu’elle est… mais sans tomber dans le sensationnalisme !

Ce que l’on n’avait pas avant, mais qui permet de faire une sélection plus adaptée, c’est que l’on utilise des tags pour labelliser les photos choisies : si une photo est trop violente, on lui attribue un avertissement. Ainsi les clients peuvent filtrer les photos selon ces labels s’ils veulent éviter de publier les images trop violentes. Finalement, les photos que l’on choisit, bien qu’elles peuvent paraître violentes, sont les plus « aseptisées et acceptables » que l’on trouve. Mais nous voyons bien pire que ce que nous envoyons !

Comme je l’ai mentionné avant, le critère de non-manipulation est aussi primordial : on rejette les photos mises en scène volontairement et/ou manipulées. On peut également rejeter une photo si la technique et la composition sont trop mauvaises, et que l’on ne dépend pas seulement de cette photo pour représenter un événement. Enfin, le critère numéro 1 de sélection, c’est la valeur de l’information : qu’est-ce que l’image apporte comme information, quelle est sa valeur journalistique.

Comment gères-tu les journées de travail éprouvantes lorsque vous devez examiner beaucoup d’images de conflits ? Comment l’équipe se soutient-elle ?

On se soutient comme on peut et on essaye de mettre de la distance, même si finalement on n’oublie jamais parce qu’on est submergé par les nouvelles. J’essaye d’avoir une vie saine pour garder la tête sur les épaules. Parfois les photographes nous disent que nous, éditeurs photo, nous avons de la chance parce qu’on n’est pas sur le terrain. Mais on ne peut pas nier que d’examiner toutes leurs photos, souvent dures, toute la journée, a des effets sur nous.

© Karam Al-Masria - AFP PHOTO - Voici un exemple de photo de conflit que Marina doit inspecter et éditer régulièrement. C'est le portrait d'un enfant syrien, attendant d'être pris en charge dans un hôpital de fortune, après avoir subi les bombardements russes et syriens des quartiers est d'Alep défendus par les rebelles le 24 septembre 2016.
© Karam Al-Masria – AFP PHOTO – Voici un exemple de photo de conflit que Marina doit inspecter et éditer régulièrement. C’est le portrait d’un enfant syrien, attendant d’être pris en charge dans un hôpital de fortune, après avoir subi les bombardements russes et syriens des quartiers est d’Alep défendus par les rebelles le 24 septembre 2016.

C’est sûr que ça a changé depuis que j’ai quitté l’Irak et que je suis venue au QG de Nicosie, parce qu’on est loin des conflits. Mais les images peuvent toujours avoir des répercussions. C’est pour cela qu’on parle beaucoup entre nous, dans l’équipe. Le pire pour moi ce sont les blessés, pas les morts finalement : on peut voir la souffrance dans les yeux de la personne, ce qui est absolument terrifiant. En plus, quand j’étais en Irak je n’avais pas d’enfants, mais depuis que je suis mère, ma perception vis-à-vis de certaines images a changé. C’est devenu un peu plus difficile d’éditer les photos d’enfants maintenant, même si je le fais puisque c’est mon travail.

Pour en connaître un peu plus sur cet aspect de leur travail, vous pouvez lire l’article du Making-Of de l’AFP.

D’une manière générale, comment ton métier a-t-il évolué avec le développement d’internet et la massification des médias au cours des années 2000 ?

Au début des années 2000, la presse imprimée était encore dominante, mais aujourd’hui la majorité de nos clients sont basés sur internet. Avec cette ère de la rapidité de l’info, où les médias peuvent changer leur photo de Une 10 fois par jour s’ils le souhaitent, les clients sont forcément demandeurs d’un grand nombre de photos qui traitent du même sujet. Avant, les bases de données étaient plus petites. Aujourd’hui, chaque jour, on reçoit beaucoup d’images de nos propres photographes, mais aussi de jeunes amateurs, locaux, qui n’ont pas toujours l’expérience.

Finalement, la technologie a beaucoup transformé notre métier, mais dans le fond, le travail d’éditeur photo repose sur les mêmes principes qu’avant : la qualité de l’information, la précision et la neutralité. Comme nous ne travaillons pas pour un journal en particulier, nous devons être neutres.

L’AFP en elle-même a évolué puisqu’elle est en contact avec plus de clients, près de 4000 au total, auxquels on envoie beaucoup plus de photos. On fournit du matériel pour les journaux, les radios et les chaînes TV, notamment pour le Monde, le New York Times, la chaîne Al Jazeera, etc. L’ensemble des départements photo de l’AFP à travers le monde fournit des clients de 165 pays au total.

Voici une petite vidéo réalisée par l’AFP sur le travail de son service photo :

Repères | Le desk Photo

En quoi ton poste en agence de presse diffère par exemple des éditeurs photo des journaux papier et magazines ?

Comme je ne suis pas éditrice photo d’une rédaction unique, ma position diffère forcément. Je fournis de l’information et du matériel pour la presse en général. Je ne dois pas donner d’opinion.

Ce qui est différent, c’est la rapidité avec laquelle on doit traiter l’information. Il faut être réactif par rapport à l’actualité, dans le traitement et la distribution de l’info. De plus, une connaissance exhaustive et étendue de la région dans laquelle on travaille est primordiale, que ce soit en politique, en stratégie étrangère, en sport, culture, etc.

Ce qui change beaucoup et ce qui est un peu une frustration pour moi, c’est qu’à la fin, on n’a pas de produit final de notre travail. Si tu es éditeur photo dans un magazine ou un journal, à la fin de la semaine ou du mois, tu as un résultat tangible de ton travail : la une, la mise en page, les reportages, etc. Je compare souvent notre travail en agence avec une machine qui doit nourrir chaque jour un monstre qui veut toujours manger plus.

Bien sûr on peut voir si nos clients publient nos images dans leurs colonnes, mais nous ne récupérons aucune reconnaissance : c’est le photographe qui récupère le crédit bien entendu, pas l’éditeur photo. Une photo est prise par un photographe, mais le produit final est lui aussi géré par l’éditeur photo qui sélectionne et traite les images.

Finalement c’est un travail invisible, que personne ne voit. Pourtant, nous sommes l’intermédiaire essentiel entre le photographe et le média qui le publie.

© Amir Makar (AFP) - Les éditeurs photo, ici au desk photo de l'AFP à Nicosie (Chypre), utilisent principalement Photoshop pour éditer et recadrer les photos et vérifier leurs métadonnées.
© Amir Makar (AFP) – Les éditeurs photo, ici au desk photo de l’AFP à Nicosie (Chypre), utilisent principalement Photoshop pour éditer et recadrer les photos et vérifier leurs métadonnées.

Quels conseils as-tu à donner à ceux qui aimeraient tenter le métier d’éditeur photo, en agence ou en rédaction de journal ?

Pour un statut d’éditeur photo en agence, les atouts principaux sur lesquels il faut se concentrer, ce sont la culture générale et les connaissances politiques, en particulier de la région dans laquelle on est amené à travailler. La lecture, la curiosité, la capacité de recherche sont donc nécessaires et permettent de se former une compétence journalistique solide.

À cela bien entendu il faut combiner des connaissances en photographie, son histoire, la technique, les règles de composition, afin de pouvoir juger une photo. En plus de ces connaissances, le b.a-ba de l’éditeur photo en agence, c’est la neutralité comme je l’ai mentionné.

Le problème aujourd’hui, peut-être à cause de l’ère d’internet et de la rapidité de l’information, c’est que tout le monde connaît de tout, mais pas assez, jamais en profondeur. Et pourtant il est impératif de comprendre les enjeux (politiques, diplomatiques, territoriaux, etc.), en profondeur, du lieu où l’on travaille. C’est pour ça que je trouve dommage que les éditeurs photo ne soient plus envoyés sur le terrain. Par exemple, quand je suis restée 5 ans à Jérusalem, ça m’a apporté beaucoup : en étant sur place, j’ai pu comprendre les subtilités du conflit. Les médias devraient ré-envoyer leurs éditeurs photo en mission.

© Ahmad Al-Rubaye - AFP PHOTO - Photo éditée par Marina Passos, représentant le logo d'ISIS à l'intérieur d'un tunnel supposément utilisé comme un lieu d'entraînement pour les djihadistes, dans le village Albu Sayf, dans la banlieue sud de Mossoul, le 1er mars 2017.
© Ahmad Al-Rubaye – AFP PHOTO – Photo éditée par Marina Passos, représentant le logo d’ISIS à l’intérieur d’un tunnel supposément utilisé comme un lieu d’entraînement pour les djihadistes, dans le village Albu Sayf, dans la banlieue sud de Mossoul, le 1er mars 2017.

Le mot de la fin ?

Pour moi, l’AFP ça a toujours été un rêve d’y travailler. Quand j’étais étudiante, c’était pour moi l’agence où il y avait de grands photographes. Le service photo est de très bonne qualité, et j’aime vraiment mon métier.

Et je te remercie beaucoup pour l’interview !

Crédit de la photo de couverture : Amir Makar (AFP)