Le mois dernier, nous avons découvert la nouvelle affiche du Salon de la Photo édition 2015. C’est le photographe Théo Gosselin qui a été choisi cette année et nous en avons profité pour l’interviewer afin d’en savoir un peu plus sur cette affiche mais également pour découvrir le parcours de ce jeune photographe âgé de seulement 24 ans.
Sommaire
- Avant tout, présentes-toi en quelques mots
- Depuis quand fais-tu de la photo, quelles ont été les étapes importantes pour toi dans ton apprentissage ?
- Nous venons de découvrir qu’une de tes photos illustrera l’affiche du Salon de la Photo 2015, c’est une énorme opportunité n’est-ce pas ? Peux-tu nous raconter l’histoire de cette image et ce qu’elle véhicule pour toi ?
- Chaque année, les amateurs de photo font une critique de l’affiche du Salon et, contrairement aux précédentes, ta photo semble plaire assez unanimement. Comment l’expliques-tu ?
- Tes images sont souvent intimes et appellent à la liberté, à l’évasion entre amis, de préférence à l’écart de la frénésie de nos civilisations. Est-ce pour toi un moyen de « fuir », de trouver une parade à la société moderne ? Est-ce une manière de dire que tu as du mal à te reconnaître ou est-ce pour pousser le spectateur à être vigilant ?
- J’ai lu que tu étais passé du numérique à l’argentique, pourquoi ce changement ? Qu’est-ce qui te manquait en numérique et quels sont les avantages de l’argentique ?
- En parlant matos, quel matériel utilises-tu et quel serait l’appareil ou l’accessoire dont tu ne pourrais plus te passer ?
- L’année dernière, tu as publié un premier livre « Avec le coeur » regroupant les plus intéressantes de tes photos, cette année le premier hors série de Fisheye Magazine t’a été en partie consacré. Qu’est-ce qui est prévu pour la suite ?
- Qui sont les photographes ou artistes qui t’inspirent ?
- Quel(le) photographe aimerais-tu que l’on interviewe ?
- Le mot de la fin
Avant tout, présentes-toi en quelques mots
Théo Gosselin, 24 ans, jeune photographe et voyageur.
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Depuis quand fais-tu de la photo, quelles ont été les étapes importantes pour toi dans ton apprentissage ?
J’ai commencé à faire des photos au moment du lycée, en 2006-2007 et c’est devenu ma grosse passion depuis 2009. Cela fait six ans que j’en vis à peu près. Les grosses étapes de mon apprentissage se sont passées au même niveau que mes étapes disons de jeune homme : le moment où je suis passé du lycée à une école supérieure des arts appliqués, le moment où je suis passé de l’école supérieure à quelque chose d’un peu plus vague, lâché dans la nature à faire moi-même mes photos depuis 2012.
Les grands changements se sont fait ainsi plus du côté humain que du côté technique et l’apprentissage s’est fait tout au long de ce parcours. Les grands changements étaient en fait plutôt des changements de ville et d’univers.
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Nous venons de découvrir qu’une de tes photos illustrera l’affiche du Salon de la Photo 2015, c’est une énorme opportunité n’est-ce pas ? Peux-tu nous raconter l’histoire de cette image et ce qu’elle véhicule pour toi ?
Ouais c’était vraiment sympa de leur part de me l’avoir proposé. Cela fait déjà quelques années que je fais des petits trucs au Salon de la Photo, de petites conférences ou de petites expos, mais là on m’a demandé de faire l’affiche. En fait c’est une commande, ils n’ont pas choisi une photo à moi qui était déjà faite.
Il y a pas mal de personnes derrière qui ont travaillé sur la conception. Disons que j’étais un peu libre mais en même temps il y avait pas mal de critères à remplir. J’ai fais énormément de photos pour cette affiche mais ils ont pris une photo qui ne me plaît pas énormément (rires). Mais tant pis apparemment les gens sont contents donc c’est le principal. C’est souvent comme ça quand c’est une commande : les gens ne prennent pas forcément la photo qui te plaît le plus.
Ils ont beaucoup aimé le fait que Maud (ma copine sur la photo, qui est aussi photographe) ai un petit mouvement de la main qui invite les spectateurs à venir. C’était un chouette projet et je suis très content qu’ils m’aient fait confiance.
Chaque année, les amateurs de photo font une critique de l’affiche du Salon et, contrairement aux précédentes, ta photo semble plaire assez unanimement. Comment l’expliques-tu ?
Pendant des années je suis passé au Salon et je voyais tout le temps les affiches qui étaient souvent des photos en studio avec une gonzesse, une sorte de pin-up ou je ne sais quoi avec un appareil photo doré mais je ne comprenais pas. Pour moi ça manquait un peu de sens et ça dévaloriserait vraiment l’esprit de la femme dedans, je trouvais ça un peu « beauf ».
A revoir, toutes les affiches du Salon de la Photo depuis 2007 et une analyse visuelle de ces affiches
Je voulais qu’on remette un peu les choses à l’ordre du jour : la photo c’est quelque chose d’assez jeune je pense, ça s’est tellement démocratisé que presque tout le monde peut en faire et maintenant il y a des appareils photo à tous les prix, pour tous les goûts et toutes les capacités.
Ils voulaient à tout prix une fille, donc moi ça ne me dérangeait pas du tout. Mais je voulais que la femme ne soit pas non plus une femme objet déguisée en Marilyn Monroe, peinte en doré avec un téléphone dans la main où on ne comprend pas ce qu’elle fait.
Je voulais plutôt qu’on montre une nouvelle génération de personnes, de jeunes photographes curieux et disons un peu dynamiques. Quelque chose de très simple où tout le monde peut s’y retrouver, avec un fond naturel assez dégagé pour qu’on puisse mettre toutes les inscriptions et puis surtout une personne souriante qui donne envie de faire des photos. Au final quelque chose de dynamique, de jeune et d’agréable qui ne soit pas non plus surfait et retravaillé. Je voulais surtout que la femme ne soit plus une sorte d’objet décoratif pour faire une belle affiche mais quelqu’un d’actif dans la vraie vie.
Je voulais quelque chose qui parle, qui soit un peu représentatif du Salon de la Photo : ce sont des gens qui viennent pour parler matériel mais aussi pour voir des photographes, pour parler, pour découvrir. Et puis ce sont des gens motivés et je trouve aussi que la photo c’est quelque chose qui permet de rendre les gens curieux et de les faire sortir de chez eux. Je trouvais donc ça bien de faire quelque chose en extérieur, avec juste quelqu’un avec un appareil photo qui invite les gens comme s’il y avait un autre interlocuteur avec la personne sur la photo, comme une sorte d’invitation à aller faire des photos et sortir de chez soi pour apprendre plein de choses.
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Tes images sont souvent intimes et appellent à la liberté, à l’évasion entre amis, de préférence à l’écart de la frénésie de nos civilisations. Est-ce pour toi un moyen de « fuir », de trouver une parade à la société moderne ? Est-ce une manière de dire que tu as du mal à te reconnaître ou est-ce pour pousser le spectateur à être vigilant ?
Non ce n’est pas un moyen de fuir la société moderne mais plutôt une façon pour moi de construire un peu mon monde. On se prend tellement de trucs un peu triste et vraiment pas joyeux dans la tronche tous les jours que je voulais construire ce monde là et essayer de vivre dedans, non pas comme un bouclier ou comme un moyen d’échapper à un monde parce qu’on est obligé de vivre dedans, mais comme une façon de le rendre un peu plus joli et plus agréable à vivre. Et de se motiver avec les gens avec qui je vis et avec qui je travaille pour toujours faire des choses de plus en plus folles, dépasser nos limites et surtout découvrir le monde. Donc d’une façon je n’essaie pas de couper les ponts avec le monde dans lequel nous vivons mais juste de le rendre plus agréable.
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J’ai lu que tu étais passé du numérique à l’argentique, pourquoi ce changement ? Qu’est-ce qui te manquait en numérique et quels sont les avantages de l’argentique ?
J’ai commencé la photo en argentique il y a très longtemps. C’est mon papa qui m’avait montré deux trois conneries quand je devais être je pense au collège. Donc ça doit faire au moins 10 ans. J’ai commencé à faire quelques petites péloches avec un vieux Nikon et c’est comme ça que j’ai appris à utiliser un appareil photo. Je ne comprenais un peu rien à ce que je faisais, c’était un peu vague pour moi et j’étais tout jeune mais ça m’a donné goût à la photo et m’a donné envie de faire de plus en plus d’images.
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Après il y a eu l’ère du numérique qui s’est un peu plus démocratisé et qui est devenu un peu plus abordable donc j’ai commencé à m’acheter des appareils photo. C’est ça qui m’a permis de pouvoir faire des photos sans limites. Parce que le problème avec l’argentique, quand tu n’’es pas très fort et que tu découvres, c’est que tu es toujours limité dans le nombre de péloches et aussi le coût de développement, de scannage, etc. Quand j’étais gamin c’était impossible pour moi.
Le numérique m’a permis d’avoir cette machine illimitée pour faire des photos, trouver mes cadrages, apprendre à dompter le matériel et à en tirer du plaisir, en passant des heures et des heures à faire une photo pour pouvoir la réussir mais sans avoir de contrainte dans le nombre d’images. C’est un formidable outil d’apprentissage qui permet aussi des choses un peu folles comme faire des photos la nuit. Disons qu’on peut un peu pousser toutes les limites.
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Pendant des années j’ai surfé entre plein d’appareils, souvent chez Nikon et au bout d’un moment j’ai commencé à gagner ma vie avec la photo. Je suis donc retombé un peu naturellement dans l’argentique puisqu’au fur et à mesure des années ce que je voulais retrouver avec les images numériques en retouchant ou même lors de la prise de vue c’était une sorte de grain argentique et de texture — une esthétique argentique. Dès que j’ai eu les moyens je me suis remis dedans et maintenant je peux me permettre d’acheter des péloches, de faire des développements etc.
Donc le passage s’est fait un peu naturellement comme ça. J’ai eu une grosse phase d’apprentissage en numérique qui m’a permis d’affiner tous mes réflexes et avoir un sens de la précision beaucoup plus développé pour pouvoir après repasser sur l’argentique et en quelques photos réussir celles que je voulais, alors qu’avant j’aurais dû prendre 200 photos en numérique.
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J’ai commencé à pas mal voyager depuis plusieurs années pour faire mes images et au début je faisais tout en numérique donc il fallait que je prenne des batteries, des appareils photos numériques, un ordinateur, de quoi retoucher etc. Et donc sur la route je me retrouvais souvent à prendre une photo, la mettre directement sur l’ordinateur, la retoucher puis après je me disais « bon, je vais la poster » donc je cherchais une connexion Internet. Puis après je restais un peu sur Internet donc j’ai perdu énormément de temps lors de mes voyages à m’occuper de mes photos plutôt que de voyager. Et ça je m’en rendais compte en rentrant en France en me disant « merde, t’as perdu pas mal de temps ». En plus cela fait toujours des contraintes parce qu’il faut recharger les batteries, trouver Internet, etc. Alors que sinon je pars avec un gros sac de films, deux appareils photo argentiques et je fais mes photos. Et dès que j’ai fais ma photo je pose mon appareil, je continue à voyager et je m’occupe de mes images en rentrant en France où je les développe et les scanne. Le voyage prend tout de suite un sens un peu différent parce que je ne suis pas tout de suite dans la publication sur Internet et dans l’ultra connexion. Je suis plus dans le voyage à 100% et quand je rentre en France je m’occupe de mes images et je retourne sur terre.
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En parlant matos, quel matériel utilises-tu et quel serait l’appareil ou l’accessoire dont tu ne pourrais plus te passer ?
J’utilises pas mal de matériel. Pour le numérique je suis en Nikon. J’ai travaillé pendant des années avec un Nikon D700 et je suis passé au Nikon D800 depuis 3 ans : ça filme et ça fait de superbes photos et tu as de la marge, tu peux recadrer, faire tout ce que tu veux c’est hyper polyvalent. Je m’en sert plus pour le boulot quand j’ai une commande parce que les clients, la plupart du temps, veulent du numérique pour avoir une sorte de sécurité et pouvoir voir les images directement.
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Pour mon travail, j’utilise le plus souvent le Nikon F2. C’est mon appareil depuis toujours, c’est une machine de guerre qui est incassable, hyper simple d’utilisation et hyper robuste, avec des optiques très simples. J’utilise les 24, 35 et 50mm et la plupart du temps je pars seulement avec un 35mm, ça me suffit. Parallèlement à ça, j’ai un Leica R4 qui est à peu près l’équivalent du F2 chez Leica mais il y a plus d’électronique dedans. En moyen format j’ai un Pentax 6×7 et j’ai un Hasselblad mais je ne m’en sert plus trop parce que le format carré ce n’est pas ce qui me correspond le plus. Et j’ai un tout petit appareil photo de poche qui est un Contax T2 et lui je le mets tout le temps à l’intérieur de ma veste dans une petite poche parce que je peux le prendre avec moi partout. Dès qu’il y a une scène devant moi ou n’importe quoi la nuit ou en plein jour j’ai juste à prendre l’appareil photo au fond de ma poche donc c’est très pratique.
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Mais s’il y a un appareil dont je ne pourrais plus jamais me passer c’est le F2. Je suis un peu un gogole de cet appareil : j’en ai plein, j’en achète à tout va dès que j’en trouve sur Ebay ou ailleurs, juste pour récupérer des pièces, pour bricoler et tout. Il y en a pas mal sur le marché de l’occasion car il a été fabriqué pendant 10 ans dans les années 70. Neuf, je peux le trouver entre 150 et 300 euros, ce qui reste assez raisonnable pour un appareil photo que tu peux garder toute ta vie parce que c’est juste de la mécanique. Tu mets juste une pile pour la cellule mais sinon tout se passe avec la force de ton pouce et de ton doigt. Je crois même que l’armée américaine et les journalistes au Vietnam partaient faire la guerre avec des F2.
L’année dernière, tu as publié un premier livre « Avec le coeur » regroupant les plus intéressantes de tes photos, cette année le premier hors série de Fisheye Magazine t’a été en partie consacré. Qu’est-ce qui est prévu pour la suite ?
Avec le coeur est sorti en 2013 : c’est un medley de photos plus une bonne partie des photos que j’ai prises aux Etats-Unis en 2012 entre New York et Los Angeles. Ensuite le numéro hors série de Fisheye est sorti en 2014 avec aussi une série que j’avais fait l’année dernière sur les Etats-Unis, accompagnée d’une invitation de plein de photographes que j’appréciais. J’ai sorti un nouveau livre en avril qui s’appelle Sans Limites et qui retrace une journée de photos. Le principe c’est que l’on suit des gens pendant un voyage du matin jusqu’au soir à travers juste un rouleau de film. Il y a un peu plus qu’une pellicule, c’est triché, mais c’est fait comme une sorte de pellicule où ça commence avec les brûlures du début, l’amorce et puis ça se finit aussi avec une amorce à la fin. On est parti à Tokyo en avril pour faire la promo au Japon. Ca c’est super bien passé, on a fait une chouette expo et je suis très content du livre.
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Je pars aux Etats-Unis mi-juin jusqu’à fin septembre pendant trois mois avec Maud, ma compagne (qui est sur l’affiche du Salon de la Photo) et qui est aussi photographe. On va acheter un véhicule sans doute au Canada et on va traverser tous les Etats-Unis pour rejoindre la Côte Ouest. Le parcours sera un peu chaotique et le but c’est de rencontrer un maximum de personnes et d’auto-éditer un livre à nous deux. Maud étant aussi photographe, on va essayer de documenter tout notre voyage avec deux visions différentes. J’ai déjà beaucoup voyager avec mes amis mais je ne suis jamais vraiment parti avec mon amoureuse donc ça va être une nouvelle expérience, une nouvelle façon de voir le voyage. On va faire un livre sur ça avec nos deux visions respectives et surtout la vision d’un couple sur la route. On essayera de rencontrer un maximum de personnes, de voir un maximum de choses, même les plus bizarres possibles et c’est le gros projet de cette année.
Qui sont les photographes ou artistes qui t’inspirent ?
Au final je n’ai pas été trop inspiré par la photo parce que je n’y connaissais pas grand chose quand j’étais gamin. J’ai plus été inspiré par du cinoche ou de la musique et c’est peut-être pour ça aussi que dans mes images on retrouve plus un côté cinématographique et quelque chose sur la durée ou quelque chose d’assez musical plutôt que de la photo pure et simple. La plupart des gens me disent que c’est plus une histoire comme un film que l’on suit et si on met de la musique derrière ça marche vachement bien.
Donc ce qui m’a pas mal inspiré quand j’étais au lycée c’était tout le cinéma indépendant américain de l’époque et même avant. Tout ce qui était Gus Van Sant et il y a pas mal de films de Larry Clark que j’aimais bien aussi. Bon c’est un peu trashouille mais c’était une certaine idée de la jeunesse, un peu perdue parfois, surtout des jeunes qui font des choses où il n’y a pas forcément de grosses actions ou de grosses explosions mais plutôt une idée de sentiments et de tranches de vie. La plupart des films se passent aux Etats-Unis donc c’est peut-être ce qui m’a autant influencé sur mes images et sur le côté un peu américain et tout cet univers.
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En musique c’est tout ce qui est folk américaine, rock, des choses récentes et des choses beaucoup plus anciennes, des années 70. Un peu de tout mais c’est vraiment une culture qui tourne un peu autour des mêmes éléments, une sorte de culture américaine typée liberté, roadtrip, rock et un peu skatteur. Même les westerns. Tant que ça parle du Grand Ouest américain, de l’évasion.
Je suis aussi pas mal fan des trucs un peu scandinaves, de l’humour et de la musique anglaise.
Quel(le) photographe aimerais-tu que l’on interviewe ?
J’ai un copain qui s’appelle Brice Portolano qui est quelqu’un de très calme et assez discret au final. Il voyage beaucoup et a une autre idée du voyage : il est plus dans le reportage pur et dur. Il va même se faire mal à aller marcher dans la montagne et à suivre des mecs au bout du monde et c’est quelqu’un de très intéressant et de vrai qui fait de superbes images.
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Le mot de la fin
Bah là j’ai faim, donc c’est le mot de la fin.
Merci Théo d’avoir répondu à nos questions et bon roadtrip aux Etats-Unis.
Vous pouvez retrouver Théo Gosselin sur son blog, sur Instagram et sur Flickr.
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