Zoom Photographe : Gillian Wearing

Pauline est la créatrice du webzine culturel The Arts Factory Magazine.

Gillian Wearing fait partie des YBA ou Young Britisih Artists, ce groupe de jeunes artistes sortis principalement du Goldsmiths College de Londres dans les années 90. On compte parmi eux Steeve McQueen, Damien Hirst ou encore Ian Davenport.

'Everything is connected in life...' 1992-3 by Gillian Wearing OBE born 1963

Photographe et vidéaste anglaise, Gilliam Wearing s’est faite connaître avec sa première série documentaire « Signs that say what you want them to say and not Signs that say what someone else wants you to say » (que l’on peut traduire par « des pancartes qui disent ce que vous voulez dire et non ce que quelqu’un d’autre veut que vous disiez »). Plus généralement, la photographe est connue pour faire participer des inconnus, en travaillant toujours avec la frontière entre image publique et privée.

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Sur un intervalle de deux ans, de 1992 à 1993, Wearing s’est baladée dans la rue, proposant aux passants de poser avec une pancarte. La règle était simple : écrire sur ce morceau de papier ce qui leur passait par la tête. Couvrant un large panel de la société, du SDF à l’homme d’affaire en passant par un policier ou une retraitée, Wearing parvient à détourner leurs pensées secrètes. Si les acteurs de la série choisissent les mots qu’ils veulent montrer à l’appareil photo, c’est Wearing qui sélectionnera le cliché final de chaque personnage.

Ainsi, un homme d’affaire en costume-cravate montre les mots « I’m desperate ». Le contraste étonne, entre l’évidente classe sociale du photographié et ses pensées empreintes de désespoir. Pourtant Wearing a choisi une photographie de l’homme avec un léger sourire narquois. Est-il désespéré par la vie ou peut-être est-ce par l’amour ? A-t-il menti sur les mots qu’il a choisit ? Le spectateur peut désormais en juger et analyser.

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Gililan Wearing offre à travers cette série une plongée dans l’intimité des gens et leurs pensées les plus profondes. Aucun moyen de connaître la véracité ni le poids de ces mots écrits en quelques secondes dans un coin de rue. Mais la démarche reste authentique, celle de poser et celle d’écrire exactement ce qui passait par la tête de ces passants à cet instant T. Réelle ou imaginée, peu importe donc pour cette démarche à triple sens : entre photographe, photographié et spectateur, impliqué avec le recul dans la photographie.

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A l’heure où la société actuelle se plaint de la conjoncture économique qui touche l’Europe et le monde, cette série prend d’autant plus son sens, 20 ans plus tard. En effet, l’Angleterre du début des années 90 est en pleine récession. Certains passants s’inquiètent d’ailleurs de la remise sur pied de leur pays, avec des phrases telles que « Will Britain get through the recession ? » ou des mots plus intimes tels qu’un simple appel à l’aide, « Help » ou du poignant « I’m desperate ».

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Mais aujourd’hui, le contraste entre les couches sociales élevées et le désespoir ne choque plus. L’émergence du groupe parisien Fauve qui défraie la chronique montre la nécessité même pour des jeunes de la classe aisée d’exprimer leur désenchantement et leur manque de confiance dans leur avenir et celui de leur pays. L’exode des français à l’étranger dont on parle actuellement beaucoup n’en est qu’un autre exemple. Gillian Wearing appuie là où ça fait mal : l’exutoire à la vie est une nécessité pour tous.

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Intemporelle, la série de Wearing est pourtant marquée. Les années 90 sont passées par là sans aucun doute et le résultat perdure aujourd’hui. Avec un semblant d’histoire documentaire ou de documentaire historique, Wearing parle de la frontière entre public et privé. Qu’est-ce qu’on peut dire, qu’est-ce que l’on a droit d’avouer ? Pour reprendre l’exemple de l’homme en costume, a-t-on vraiment le droit de faire partie d’une couche sociale élevée et de se plaindre ? Une jeune femme au manteau de fourrure a-t-elle le droit d’avouer que sa poigne sur la vie n’est plus si ferme (« My grip on life is rather loose ! ») ?

My grip on life is rather loose!

La série de la photographe est souvent comparée a du voyeurisme, mais le lien n’apparaît pas clairement : peut-on vraiment demander à des inconnus de révéler leur profonde pensée ? A l’heure où les réseaux sociaux posent la question de la limite de la vie privée, quelle réponse pourrait-on apporter ? Vingt avant l’arrivée de Facebook, Wearing étudie les questions entre publique et privé ainsi que leurs limites. « Tout le monde a un secret« , avait-elle affirmé lors d’une interview donnée au Telegraph. Et pour toujours.

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Les passants qui se sont prêtés au jeu et ont écrit quelques mots sur une feuille blanche, comme chaque jour de millions de personnes écrivent un statut Facebook, garderont à vie le secret : ont-ils dit la vérité ?