Photographe de l’année aux Sony World Photography Awards 2024, Juliette Pavy mène depuis plusieurs années un travail documentaire ambitieux, à la croisée de l’enquête scientifique et du récit intime.
Son exposition Sous la glace de l’Arctique, le mercure, présentée à l’automne 2025 au Kiosque de Vannes, révèle une pollution méconnue qui menace les communautés inuites en raison du réchauffement climatique. Un travail au long cours, entamé il y a deux ans, où la photographie se fait à la fois témoignage, alerte et espace de résonance sensible.

le phoque. La chasse est une activité bénéfique pour l’équilibre écono-
mique, culturel et psychologique des populations. C’est l’occasion de sortir et d’avoir un rôle au sein de la communauté. Il est courant de faire de longues sessions de
chasse qui durent plusieurs jours. © Juliette Pavy, Collectif Hors format
Le mercure, poison au cœur de l’Arctique
Depuis 2023, Juliette Pavy enquête sur une pollution encore méconnue : la contamination au méthylmercure dans le Grand Nord. À mesure que le pergélisol (permafrost) fond, ce gigantesque réservoir naturel relâche une forme hautement toxique de mercure initialement stocké dans la glace par les éruptions volcaniques des 25 000 dernières années. S’y ajoute les émissions actuelles issues de nos industries polluantes qui, à leur tour, se diffusent dans l’eau, les sols et empoisonnent la chaîne alimentaire. Un poison dont les effets se transmettent d’une génération à l’autre.
Les données scientifiques recueillies sont alarmantes : le niveau de mercure dans l’Arctique a été multiplié par 10 en 150 ans. Principales victimes, les populations inuites affichent des taux de contamination parmi les plus élevés au monde, et les bouleversements climatiques n’ont de cesse d’accélérer et amplifier ce phénomène, l’Arctique se réchauffant 4 fois plus vite que le reste des régions du globe ses populations sont en première ligne.

À la croisée de la science et de l’intime
Ce qui frappe dans ce reportage réalisé grâce à la bourse obtenue avec le Prix Françoise Demulder – festival Visa pour l’image, c’est l’équilibre entre précision documentaire et sensibilité narrative. Pour parvenir à ce résultat, Juliette Pavy a interrogé les chercheurs, collecté des données, confronté l’expérience des habitants avec la réalité des chiffres.

Ses images ne se contentent pas de communiquer ce savoir : elles créent du lien. Fidèle à son approche immersive, Juliette Pavy privilégie la proximité et la durée. Portraits et paysages nous transmettent la mémoire des lieux, des gestes, les inquiétudes partagées, le quotidien qui se poursuit malgré tout. Cette articulation entre rigueur scientifique et écriture subjective fait de la photographie documentaire un art à part entière, capable de nous accompagner dans notre manière d’habiter le monde.
Les photographies de Juliette Pavy ne se limitent pas à illustrer un problème sanitaire et environnemental. Chacune interroge : comment vivre avec un poison invisible ? Comment un territoire à la blancheur immaculé, une étendue trop souvent fantasmée comme symbole de pureté, devient-il le réceptacle d’une contamination ?
Un reportage humaniste et empathique
Pour documenter ce poison invisible, la photographe a fait le choix d’un récit incarné. Portraits au crépuscule, scènes de chasse sur la lisière de la banquise, moments du quotidien à Iqaluit ou dans la baie d’Aaulftasivia : ses images couleur glacier, loin d’être froides ou inanimées, racontent les existences autant que les paysages.
Dinos Tikivik, un ancien ranger, est immortalisé lors de la chasse au phoque sur le floe edge, sur une autre c’est Iqaluit aux lumières changeantes, ville suspendue entre traditions et modernité qui est saisie. Le choix de la lumière, la place du blanc, la lenteur du geste : tout concourt à rendre perceptible une crise profonde et silencieuse. Juliette Pavy ne cherche pas le spectaculaire. Sa photographie est un espace de respiration, où affleurent les fragilités des Hommes et du monde.

Après avoir documenté la stérilisation forcée des femmes groenlandaises, travail couronné par le prix Demulder et la publication de son premier livre Spirales (éditions Four Eyes), Juliette Pavy poursuit sa réflexion sur les violences invisibles, les inégalités sanitaires et les transformations des territoires arctiques. Un fil rouge traverse son œuvre : comment l’histoire, la politique et l’environnement s’inscrivent-ils dans nos corps ?

Dans un moment où l’information se dématérialise, le travail méticuleux de Juliette Pavy, membre du collectif Hors Format, rappelle que la photographie est une manière de ralentir, de comprendre et d’aller à la rencontre des zones d’ombre. Une invitation à regarder autrement, sous la glace des apparences.
Son travail est à découvrir sur son site internet ainsi que sur Instagram.



