Longtemps resté dans l’ombre de ses contemporains, Roger Schall (1904–1995) revient enfin sur le devant de la scène. Après deux expositions à Paris et au Havre consacrées au légendaire paquebot Normandie, et la publication d’une première monographie – Roger Schall, Un Précurseur (éditions Le Bec en l’Air) – l’année 2025 promet de retracer la carrière d’un photographe aussi discret qu’influent. Derrière ses cadrages élégants, se révèle un précurseur de la photographie moderne, témoin à la fois des instants légers et des heures sombres du XXe siècle.

Sommaire
Inventer l’image moderne
Né en 1904 à Nancy dans une famille de photographes, Roger Schall apprend dès l’adolescence les gestes du métier auprès de son père Émile. Il réalise ses premières prises de vue en extérieur aux Sables-d’Olonne où la famille s’est établie durant la guerre.
En 1925, pendant son service militaire il rejoint la section photographique de l’armée française au Liban. À son retour, l’acquisition d’un Leica, puis d’un Rolleiflex, marque un tournant : Roger Schall sort du studio pour capter le réel sur le vif. Paris devient son terrain d’expérimentation.
Son approche spontanée, influencée par la Nouvelle Vision, née des principes développés par l’école du Bahaus, ne le quittera plus. Roger Schall fait de la photographie un art à part entière. Partis-pris et choix de cadrage surprenants transmettent une vision du monde tendre et poétique.

Image après image, la photographie se détache de sa portée purement représentative et documentaire, elle est le support d’une vision. Angles obliques, gros plans et vues aériennes en plongée caractérisent celle de René Schall. La qualité formelle et technique de ses créations est au service de son message. Dans les instants de légèreté comme dans les moments graves, Roger Schall restera toute sa vie un témoin de la beauté et de la simplicité, et un pionnier de la photographie humaniste.
Un photoreporter visionnaire
En 1931 à Montmartre, il fonde avec son frère Raymond le studio Schall Frères, future agence Schall Presse. Précurseurs du modèle des grandes agences internationales, ils collaborent avec Vu, Life ou Paris Match pour documenter l’entre-deux-guerres.
Schall Presse offre à la photographie une reconnaissance nouvelle et participe à l’essor de la presse illustrée. Avec Roger derrière l’objectif, Raymond peut progressivement se consacrer à l’édition de livres et recueils photographiques, nombreux seront les titres à sceller la collaboration familiale ininterrompue.

Dès 1932, ses clichés retiennent l’attention de la presse. Impressionné, Lucien Vogel lui confie pour Vu un reportage sur la construction du Normandie. Le chantier naval achevé, Roger Schall couvre en 1935 la traversée inaugurale du paquebot. Il est le seul photographe accrédité à bord et partage sa cabine avec l’écrivain Blaise Cendrars.
Cheminées du navire, opulence décorative de ce fleuron de l’art déco et du luxe à la française et allégresse de la vie à bord : Roger Schall saisit avec finesse l’opulence et l’atmosphère unique de cette traversée légendaire.

Normandie, c’est Paris et la France résumés en une capitale flottante de toutes les magnificences de chez nous.
Roger Schall
Arrivé à bon port en un temps record, Roger Schall signe un reportage new-yorkais où il capte les lumières de la ville. À New York, il prolonge ce qu’il a déjà entrepris à la lumière des réverbères et cabarets parisiens, dans une veine proche de Brassaï.

Un témoin de l’Histoire en marche
Photographe parmi les plus actifs de l’entre-deux-guerres, Roger Schall traverse les années 30 avec élégance et lucidité. Anonymes du Paris populaire et mondains en villégiature sont photographiés avec la même attention. Jean Cocteau, Salvador Dali, Man Ray, Gabrielle Chanel, Matisse ou Marlène Dietrich : la nouvelle garde artistique et les célébrités de l’époque se pressent devant son objectif.
Avec les frères Schall, la mode sort des studios pour gagner la rue, à Paris comme ailleurs. L’élégance et la liberté de la période se capture de Deauville à Megève en passant par le cap d’Antibes.

En 1937 il photographie l’exposition universelle, mais, en 1939, la mobilisation générale clôt la porte de l’agence Schall Presse. Roger Schall n’abandonne pas la photographie et couvre les grands évènements qui feront l’époque : Jeux olympiques de Berlin de 1936 ou congrès nazis de Nuremberg, rassemblements auxquels Match consacrera un numéro spécial.

Roger Schall sera surtout l’un des très rares photographes à immortaliser Paris sous l’Occupation. Souvent clandestin, ce travail de reportage sincère est dénué de tout sensationnalisme.

À la Libération, ces clichés prennent toute leur portée : À Paris sous la botte des nazis, publié en 1944 par Jean Eparvier aux éditions Raymond Schall, rassemble des images de Roger Schall, Maurice Jarnoux, Robert Doisneau et d’autres photographes d’agences. Préfacé par de Gaulle, l’ouvrage rencontre un large écho.

La grâce des jours heureux
L’ombre de la guerre s’éloigne et Paris retrouve sa joie de vivre. La consommation peut à nouveau battre son plein et la commande de la publicité de mode encourage les photographes à faire preuve d’inventivité.
Roger Schall collabore avec les maisons de luxe. Hermès, Dior, Lanvin ou Van Cleef & Arpels s’arrachent son travail. Ses images pures et sophistiquées, s’appuyant toujours sur des jeux de lumière travaillés, font le succès de ses commanditaires.

Aux compositions méticuleuses du studio s’ajoute la spontanéité des prises de vue en extérieur baignées de lumière naturelle. Devenu photographe d’art, Roger Schall continue de capturer le mouvement de son époque, des défilés aux courses hippiques sans oublier l’actualité.
En 1949, il part aux côtés de Colette pour le Maroc pour couvrir le mariage royal des fils du Pacha El Glaoui. Sur place, s’éloignant des fastes du palais, Roger Schall immortalise les fortifications et la vie quotidienne de la Légion étrangère.

La redécouverte
Avec plus de 80 000 photographies réalisées jusqu’aux années 1970, Roger Schall demeure l’un des photographes les plus prolifiques de sa génération. Son œuvre riche et singulière reflète une vision à la fois humaniste et poétique du monde.
Depuis 2022, Cécile Schall, petite-fille de Roger Schall, et son arrière-petit-fils font rayonner l’œuvre de leur aïeul à partir d’un fonds resté familial. À travers la Schall Collection, ils s’attachent à réhabiliter sa mémoire et à lui redonner la place qu’il mérite dans l’histoire de la photographie, tout en proposant au public l’acquisition de tirages.

De Paris au Havre, la récente exposition Revoir Normandie a ainsi permis au public de redécouvrir ces images. Une sélection de tirages et planches contact est toujours visible au Havre jusqu’au 21 septembre au Musée d’Art moderne André Malraux (MuMa) grâce à l’exposition Paquebots 1913 – 1942, une esthétique transatlantique.
À l’occasion du centenaire de l’exposition des arts décoratifs et industriels modernes (1925), Roger Schall fera une fois de plus entendre son nom. Plusieurs de ses tirages s’exposeront à partir du 21 octobre 2025 au musée des Arts décoratifs pour une exposition qui s’annonce déjà comme un évènement incontournable de la fin d’année.
Vous pouvez retrouver ce zoom photographe dans Revue EPIC #16
Pour aller plus loin, retrouvez la monographie Roger Schall, Un Précurseur aux éditions Le Bec en l’Air (44 €).