Festival Circulation(s) 2025

Festival Circulation(s) au Centquatre : 15 ans de photographie émergente européenne

Cette année marque la quinzième édition du Festival Circulation(s) au Centquatre. Fidèle à son désir de mettre en avant des photographes européens émergents, cette édition présente 23 artistes de 13 nationalités différentes, avec un focus dédié à la Lituanie, et ce jusqu’au 1er juin 2025. À nouveau, certaines lignes directrices se dessinent entre les nombreux photographes exposés, avec une attention accordée aux renouvellements des représentations artistiques.

Nous sommes légitimes © Aubane Filée

Bord de mère

Comment exprimer la transmission en portraits, en paysages, en natures mortes ? C’est sans doute une des thématiques qui émerge particulièrement de cette édition de Circulation(s) : cette attention portée à la notion de transmission mère-enfant, et à ce(ux) qui reste(nt). En témoigne notamment le très beau travail de Sama Beydoun, une photographe libanaise actuellement basée à Paris.

Mother Tongue © Sama Beydoun

On le sait : l’alimentation tient un rôle central dans la transmission, concentrant à elle seule tradition, culture, codes sociaux, etc. Sama Beydoun, alors retirée à Paris loin de sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère, part à la recherche de Libanaises et de Libanais qui, comme elle, ont été contraints de quitter leur pays.

Avec elles et eux, Sama Beydoun cuisine, discute du lien particulier qu’on entretien avec la nourriture de là où on vient. Ainsi, la photographie crée des liens, des ponts, met en exergue ce qui sépare et relie. Parce qu’elles sont exposées dans une petite case au centre du grand espace d’exposition, ces clichés reproduisent ce sentiment d’intimité ; de l’émotion, forcément.

Mother Tongue © Sama Beydoun

Cette thématique de la transmission est également au cœur du travail d’Émeline Amétis La veille de ses trente ans, sa mère lui offre un album retraçant quarante ans de sa vie : son enfance en Guadeloupe puis sa vie en Métropole à partir des années 1970. Entre l’archive, l’installation et une pratique très sensible du portrait et du paysage, Emeline Amétis poursuit la transmission en posant la question délicate de l’héritage dans le contexte migratoire caribéen.

Il s’agit, à travers sa pratique, de dire : comment la photographie peut-elle combler les manques créés par la distance et le silence imposé ? Entre spiritualité et histoire, son travail vient approcher les corps, les objets, avec une application certaine à la composition et à l’alternance entre noir et blanc et couleur. À nouveau, on est impressionnés par la qualité de ce que propose le festival année après année.

peyi manman, au pays des mères © Emeline Amétis

Circulation(s) : jeunesse se passe

Forcément, qui dit photographie émergente dit jeunesse. On avait été frappés l’année dernière par le travail de l’italien Glauco Canalis ; c’est à nouveau une photographe italienne qui a particulièrement retenu notre attention pour cette édition.

Giulia Frigieri s’est rendue dans les îles volcaniques qui entourent la Sicile pour photographier les jeunes qui y habitent à l’année, avec à cœur de rendre visible comment cohabitent cette jeunesse et une situation géographique singulière.

L’adolescence peut volontiers être qualifiée de période volcanique ; cette transition entre l’enfance et l’âge adulte, ce moment précis où l’on tente de défier les règles (ou pas), de moment de liberté et de chamboulements intimes.

C’est là sans doute toute la beauté et la délicatesse du travail de Giulia Frigieri : comment représenter cet âge à cet endroit particulier, où l’imprévisible pointe constamment le bout de son nez, où le climat est à la perpétuelle tension et l’incertitude. Ses clichés traduisent aussi une certaine inquiétude générationnelle face aux tourments du monde.

Generazione Vulcano © Giulia Frigieri

Ola Skowrońska, de son côté, mêle ces questions avec celle du statut des réfugiés. Parce qu’elle ne pouvait plus voir une amie de longue date, tchétchène, en raison de la situation politique du pays, elle a commencé à photographier quatre jeunes femmes tchétchènes qui portaient le même nom que son amie : Heda.

À travers elle, c’est tout un paradoxe du réfugié qui se dessine : elles se retrouvent souvent prisonnières de leur culture d’origine et de sa misogynie, et elles sont frappées de la xénophobie qui fait rage dans les pays européens où elles ont trouvé refuge.

Heda © Ola Skowrońska

Le projet photographique d’Ola Skowrońska raconte l’histoire de ces cinq Heda, dans des noir et blanc d’une grande douceur et d’une grande vérité. Toutes ensemble, c’est une histoire plurielle qui est exposée, tout à la fois sur le vécu de la migration, sur le traumatisme de la guerre et de sa transmission, et sur l’amitié comme mode de vie.

Édition 2025 du festival Circulation(s) : focus Lituanie

Ça fait maintenant six ans que le festival porte un focus sur une scène photographique européenne précise. Cette année, l’invitation s’est portée sur la Lituanie, engagée notamment dans l’accueil des réfugiés ukrainiens. Une manière aussi de faire hommage au focus sur l’Ukraine proposé l’an dernier.

Uprooted © Ieva Baltaduonyte

Au-delà des quelques tirages anecdotiques d’Agnė Gintalaitė sur la force créatrice de l’IA générative – seul le choix des encadrements vert fluo ont retenu notre attention –, les artistes sélectionnés impressionnent par leur qualité et leur diversité.

Le défi est grand, chaque année, pour le festival : comment dessiner les contours de la scène photographique d’un pays, avec seulement quatre artistes sélectionnés ? Notre choix s’est porté sur le travail de la photographe Ieva Baltaduonyte.

Son projet, intitulé sobrement « Uprooted » (littéralement, « Déraciné »), s’attarde sur le syndrome de stress post-traumatique qui frappe particulièrement les personnes réfugiées – d’autant plus quand elles ont été confrontées à des scènes de guerre. Ieva Baltaduonyte a photographié des femmes et des adolescentes ukrainiennes réfugiées en Lituanie après l’invasion russe de 2022, leur nouveau quotidien et la manière dont elles peuvent l’appréhender.

Ieva Baltaduonyte © Uprooted

Comment rendre compte de tout cela par la photographie ? À nouveau, l’artiste y répond avec une grande justesse. Portrait, scène de vie, et force de l’image avec un traitement de la couleur tout à fait particulier et saisissant – le tout avec un sens aigu de la composition. Oui, Circulation(s) montre parmi ce qui se fait de mieux actuellement en photographie ; et c’est une aubaine pour nous, spectateurs.

Informations pratiques :
Circulations – Festival de la jeune photographie européenne – édition 2025
Centquatre Paris
Du 5 avril au 1er juin 2025
5 rue Curial, 75019 Paris
Du mardi au vendredi de 12h à 19h, week-ends et jours fériés de 11h à 19h
Plein tarif : 6 € (tarif réduit : 3 €)