La récente fonctionnalité de ChatGPT, permettant de générer des images dans le style du célèbre studio d’animation japonais Studio Ghibli, a déclenché un débat passionné sur le droit d’auteur et l’intelligence artificielle. Cette tendance, qui a rapidement pris de l’ampleur sur les réseaux sociaux, soulève des questions complexes sur la frontière entre inspiration et violation de la propriété intellectuelle.

Le succès viral de la génération d’image par IA dans le style Ghibli
Le 26 mars 2025, OpenAI a dévoilé son nouveau modèle de génération d’images GPT-4o. Cette version s’affranchit de DALL-E en permettant de créer des images directement dans ChatGPT. Dotée de capacités de raisonnement avancées, elle permet d’interagir avec l’image à travers une série de prompts. L’objectif est de faciliter les itérations successives pour générer des images ultra-réalistes, avec une attention particulière portée au rendu du texte.
Mais cette nouvelle version a surtout été utilisée pour créer des images inspirées des films de Hayao Miyazaki, comme Le château dans le ciel, Mon voisin Totoro ou le voyage de Chihiro. Et il n’en fallait pas plus pour que de nombreuses personnes partagent leurs créations sur X (ex-Twitter) et que cela devienne une tendance de fond sur Internet.
Ces illustrations se caractérisent par des tons pastels, des personnages au regard expressif et une lumière tamisée — une atmosphère enchanteresse qui calque parfaitement l’univers du maître japonais.


Ils ont envahi les comptes personnels sur X, mais aussi ceux de personnalités publiques comme Emmanuel Macron. Cependant, ce succès a rapidement dépassé les capacités techniques d’OpenAI, qui a dû restreindre l’accès à cette option pour éviter la surcharge de ses serveurs. Sam Altman, partageait sur X un message avec humour : « Pouvez-vous s’il vous plaît vous calmer en générant des images. Notre équipe a besoin de sommeil ».
Ce 1er avril 2025, OpenAI a réouvert l’accès à l’outil à tous les comptes ChatGPT, y compris les comptes gratuits.
Des enjeux juridiques complexes
S’agirait-il d’une campagne de communication réussie pour un prochain film du Studio Ghibli ? Non, car OpenAI n’a obtenu aucune licence pour générer ces images inspirées des œuvres du studio d’animation japonais.

Le style d’une image n’est certes pas protégé par le droit d’auteur, contrairement aux œuvres spécifiques (films, personnages, décors précis, etc.). Cette nuance permettrait à OpenAI de laisser à n’importe qui de transformer un cliché en image inspirée du Studio Ghibli, tant qu’il ne s’agit pas de reproduire les personnages originaux.
Toutefois, le véritable enjeu est ailleurs : pour créer ces images à la demande, OpenAI a dû entraîner ses modèles d’IA sur des œuvres spécifiques du Studio Ghibli, protégées par le droit d’auteur. Et pour cela, OpenAI n’a pas obtenu de licence.
Entraîner une IA sur du contenu protégé, une contrefaçon ?
Selon Joëlle Verbrugge, photographe et avocate spécialisée en droit de la photographie, « le seul fait d’avoir intégré les œuvres initiales dans la base d’entraînement de l’IA peut éventuellement être considéré comme une contrefaçon en soi ». Cette question est d’ailleurs au cœur d’un chapitre de son livre IA et image : guide juridique. L’auteure note que la jurisprudence récente est partagée, certaines décisions condamnant les sociétés d’IA, d’autres non.
On estime également que Studio Ghibli pourrait engager des poursuites judiciaires, mais cela nécessiterait de prouverque les modèles d’OpenAI ont été entraînés directement sur des œuvres du studio.
OpenAI se défend en invoquant le « fair use » (ou usage équitable en français), une doctrine reconnue aux États-Unis, qui permet d’utiliser du contenu protégé par le droit d’auteur sans autorisation dans certaines conditions spécifiques comme favoriser la création, l’innovation et la diffusion de la connaissance.
La société OpenAI affirme également que son objectif est de donner aux utilisateurs « la plus grande liberté créative possible. »
Un impact économique pour Studio Ghibli ?
Pour Joëlle Verbrugge, le Studio Ghibli pourrait également accuser OpenAI de « parasitisme économique » en reprochant aux sociétés exploitant l’IA de profiter de la notoriété de leurs créations. Selon elle, c’est par cette approche qu’ils auraient le plus de chances d’obtenir gain de cause. Par ailleurs, si chacun peut générer des images dans l’esprit du Studio Ghibli, cela risquerait de porter préjudice économiquement à l’entreprise.

De son côté, Hayao Miyazaki, le père du Studio Ghibli, ne s’est pas prononcé sur cette polémique, même s’il annonçait déjà il y a 9 ans au sujet de l’IA : « Je suis profondément dégoûté. Si vous voulez vraiment faire ces choses épouvantables, ne vous privez pas. Mais je ne souhaite en aucun cas intégrer cette technologie à mon travail. J’ai le profond sentiment que c’est une insulte à la vie elle-même. »
Pour aller plus loin : IA et image : guide juridique