Singer David Bowie poses with a large barking dog for the artwork of his 1974 album 'Diamond Dogs' in London. Courtesy of La Galerie de L'instant

Le dessous des images : David Bowie et son molosse par Terry O’Neill

Un instant suspendu en plein chaos. En janvier 1974, dans le studio londonien de Terry O’Neill, une séance photo anodine devient légendaire. David Bowie, impassible, tient en laisse un imposant Grand Danois bondissant vers l’objectif. Cette image iconique, capturant la dualité entre calme et frénésie, symbolise à elle seule l’audace artistique du chanteur et la maestria du photographe. Retour sur l’histoire de cette photo.

David Bowie, Diamond Dogs, Half Speed Master Black Vinyl, édition 50e anniversaire © DIG, Warner Records

L’année 2024 a marqué les 50 ans de Diamond Dogs, l’album mythique de David Bowie. Pour célébrer cet anniversaire, une édition vinyle hommage a été lancée en mai dernier, ravivant l’engouement pour la légendaire pochette imaginée par Guy Peellaert. Mais saviez-vous que tout a commencé avec une photographie emblématique prise par Terry O’Neill ? Plongée dans les coulisses de cette image devenue iconique.

Un portrait improvisé et emblématique

Le 30 janvier 1974, le photographe Terry O’Neill (1938-2019) a rendez-vous avec David Bowie dans son studio photo londonien pour une séance de pose qui s’avèrera inoubliable. Sur l’image la plus célèbre de ce shooting, le chanteur est assis avec nonchalance, tenant au bout d’une laisse de cuir un impressionnant Grand Danois bondissant vers l’objectif. Ce cliché, pris pour la promotion de Diamond Dogs, captive par son contraste saisissant. À gauche, le molosse, imposant, gueule ouverte. À sa droite, Bowie, calme et pensif, coiffé d’un chapeau cordobés andalou est chaussé de bottines à talons. À ses pieds, un livre entrouvert, comme un clin d’œil aux influences littéraires de son 8e album.

Terry O’Neill a souvent raconté les coulisses de cette séance photo mythique. Lorsque Bowie entre dans le studio, accompagné de son Grand Danois, il s’installe sur une chaise et s’étire tranquillement. Terry O’Neill prend d’abord quelques photos du chien puis de l’artiste. Il suggère alors une image les rassemblant, mais le chien, effrayé par les flashs, s’élance en direction du matériel. Tandis que l’équipe se disperse dans un chaos général, Bowie reste imperturbable. C’est cette attitude que capture avec maestria le grand angle de l’appareil de Terry O’Neill.

Terry O’Neill, Diamond Dogs, Londres, 1974

Ce cliché a été exposé récemment à La Galerie de l’Instant à Paris dans le cadre de son exposition On n’est pas sérieux quand on a 20 ans.

Une dystopie annonciatrice du punk

Diamond Dogs est un album où se mêlent les angoisses existentielles de Bowie et ses influences littéraires et artistiques éclectiques, de Georges Orwell à William S. Burroughs en passant par Dalí. D’abord pensé comme une comédie musicale inspirée de 1984, l’album Diamond Dogs (initialement Diamond Dawgs) dépeint une dystopie où évolue Halloween Jack, dernier alter ego en date de Bowie et le gang des Diamond Dogs, sortes de Oliver Twist violents habitant les toits de Londres. Qualifié de prophétique par la critique, cet OVNI musical annonce avant l’heure le mouvement punk.

La collaboration avec Guy Peellaert

Ce jour-là, Bowie est également accompagné de Guy Peellaert, un artiste belge que David Bowie a découvert à travers ses œuvres chez Mick Jagger. BD, affiches de films, pochettes de disques… le talent pluridisciplinaire de Guy Peellaert et son style provocateur séduisent rapidement Bowie. Fasciné, le chanteur s’assure de sa collaboration, quitte à couper l’herbe sous le pied des Rolling Stones. La même année, l’illustrateur signera Rock Dreams, un album illustré de portraits de stars pop-rock représentées comme des icônes bibliques (Janis Joplin, Johnny Cash, Elvis Presley, Bob Dylan, Mike Jagger, Tina Turner…). 

C’est donc dans l’enceinte du studio photo de Terry O’Neill que David Bowie révèle à Guy Peellaert son projet et son envie de le voir peindre la pochette de Diamond Dogs. Plusieurs essais sont menés sur le vif. Terry O’Neill photographie Davie Bowie au sol dans une pose inspirée de celle de Joséphine Baker lors d’un shooting parisien de 1926, c’est cette pose qui sera reprise sur l’image de couverture de l’album.

Visuel déplié de la pochette de Diamond Dogs réalisée par Guy Peellaert pour David Bowie (post censure)

Guy Peellaert devient ainsi l’auteur de la pochette de Diamond Dogs et réalise un visuel audacieux, d’après les esquisses quasi mythologiques de Bowie et les photos de la série de Terry O’Neill. Le chanteur, peint avec sa coupe de Ziggy Stardust, est doté d’un corps de chien complété par des attributs sexuels. À ses côtés, deux créatures accompagnent Bowie, inspirées de femmes se produisant dans un freak show de Coney Island, connues sous les noms de Turtle Girl et Bear Girl.

Mais le scandale et la censure du label RCA frappe rapidement et les parties génitales canines dessinés sur le corps de Bowie sont écartées. Des exemplaires originaux parviennent à se frayer un chemin sur les rayons des disquaires grâce à une vingtaine d’épreuves précédemment distribuées ayant échappé à leur renvoi et destruction. Ces rares versions font la joie des collectionneurs et continuent d’enflammer les ventes aux enchères.

Terry O’Neill, chroniqueur de l’aristocratie britannique et rock’n’roll

Terry O’Neill a été l’un des premiers photographes à offrir un regard intime sur les stars et personnalités publiques. Frank Sinatra, David Bowie, Nelson Mandela ou la famille royale britannique seront habilement mis en lumière par son Leica.

En entrant par hasard dans le département photographie de la compagnie aérienne British Airways, Terry O’Neill espère surtout bénéficier de facilités pour devenir stewart et s’envoler régulièrement vers New York, où il souhaite percer dans le jazz. Ce sera sans compter sur sa passion naissante pour la photographie. 

Terry O’Neill: Photographer of David Bowie and Frank Sinatra

Loin de la vocation de prêtre que ses parents espéraient pour lui, le jeune photographe devient rapidement le chroniqueur privilégié du Swinging London, aux côtés de David Bailey ou Terence Donovan. Sa complicité avec les stars et personnalités publiques le conduit à capturer des moments intimes et iconiques. Frank Sinatra loin de la scène, Faye Dunaway (avec laquelle il sera brièvement marié) songeuse au bord d’une piscine avec son Oscar, Brigitte Bardot cheveux au vent sur le tournage des Pétroleuses, et bien sûr, David Bowie. Ces clichés mythiques, parfois sulfureux, font désormais partie des collections du Met à New York et du V&A Museum à Londres.

Affiche Diamond Dogs de Guy Peellaert d’après la photographie de Terry O’Neill

Bien que l’image prise par Terry O’Neill n’ait pas servi de couverture à l’album Diamond Dogs, celle-ci a été fondatrice pour l’esthétique de l’album. La photo a été employée pour sa promotion, notamment comme poster redessiné par Guy Peellaert, suscitant une fois n’est pas coutume de vives réactions en raison de la férocité qui s’en dégage.

Cette image puissante incarne l’essence du style Bowie : audace, énergie… sans oublier une dose de chaos parfaitement maitrisée. Elle reste aujourd’hui l’une des photos les plus célèbres de l’artiste et témoigne du talent visionnaire de Terry O’Neill, disparu en 2009.