Après avoir publié Atlas of Forms en 2017, suivi de la série Atlas des Régions Naturelles, Éric Tabuchi continue son exploration avec The Third Atlas. Ce nouveau travail reste fidèle à ses thèmes de prédilection : l’architecture, les constructions humaines, et la photographie, en se concentrant cette fois sur les processus de production et de diffusion des images.
The Third Atlas se distingue comme une œuvre marquante dans l’univers de l’édition photographique. Il s’agit d’un livre entièrement composé d’images générées par IA avec Midjourney, offrant une perspective innovante sur la photographie contemporaine.


Loin des réalités territoriales de la France contemporaine telles qu’elles ont été explorées dans la série des ARN, The Third Atlas utilise l’intelligence artificielle comme matière pour représenter le réel – ou plutôt, un certain réel.
Accompagné de Nelly Monnier, Éric Tabuchi a arpenté ces dernières années de nombreux territoires et constitué un corpus considérable de photographies d’une France méconnue. Ce travail a pris la forme d’une série de livres nommés ARN (Atlas des Régions Naturelles).
On retrouve ce terme d’Atlas avec son dernier ouvrage ; mais ici, pas d’indication géographique, bien entendu, puisque tout est fictif. Le texte a complètement disparu, que ce soit à l’intérieur du livre, ou en première et quatrième de couverture.

Seules demeurent les images et la manière dont elles s’enchainent et s’agencent. Cette publication témoigne d’une forme d’écriture très narrative, comme un récit qui s’établit au fur à mesure des pages et qu’on ne saisit qu’une fois le livre parcouru intégralement.
Tout commence par ce qui peut s’apparenter à une forme de laboratoire, la création d’une explosion, expérimentale. Puis, cette explosion – quasiment nucléaire – survient dans une ville, un désert, jusqu’à conduire à des images très fortes de désolation, humaine et civilisationnelle, avant d’arriver à la nécessaire reconstruction.

C’est ainsi qu’on peut retrouver à partir du quart du livre ce qu’on pouvait voir dans les ARN : des paysages désolés, bâtiments, habitations, institutions, commerces, etc., pris de plain-pied. Le livre est intéressant dans sa façon d’insuffler dans des images produites par IA l’esthétique documentaire et les préoccupations qui étaient déjà propres à l’artiste.

Dès Atlas of Forms, on retrouvait un désir de trouver des formes dans l’architecture (carré, cercle, triangle), en rassemblant près de 1500 photographies collectées en ligne. Cet intérêt pour les constructions géométriques, qui peuvent parfois apparaître ubuesques, revêt ici une autre dimension avec l’intervention de l’IA. On n’impose aucune limite au réel et cela permet à l’artiste toutes les fantaisies.

La particularité de cet ouvrage tient dans toutes les interrogations qu’il soulève, notamment du fait de son statut de livre photographique ou livre d’art alors que les images sont intégralement produites par IA. À nouveau, Éric Tabuchi pose la question du statut de l’image, du document, de l’archive, de la photographie, en poussant cette fois le curseur encore plus loin.
Ainsi, il est facile de trouver The Third Atlas dans des librairies ou bibliothèques spécialisées en photographie, dans des lieux d’exposition, à côté d’ouvrages « classiques », de catalogues d’exposition ou de monographies. Le tout-venant saura-t-il de quoi il s’agit, malgré l’absence totale de texte explicatif en son sein ?

On s’interroge également sur le déplacement qu’a dû opérer l’artiste entre sa précédente publication et celle-ci. Avec ARN, Éric Tabuchi et Nelly Monnier traversaient les départementales françaises en voiture sur de longues périodes ; ici, on s’imagine qu’il suffit d’un bureau avec un ordinateur. Se pose la question de la transition, physique et intellectuelle, le mouvement entre la voiture et la sédentarité du bureau, pour créer les images rassemblées dans The Third Atlas.

Avec ses 320 pages et les 660 images qui y sont présentées, The Third Atlas est bien plus qu’un objet de questionnements théoriques sur le statut de l’art et de la création. Il s’agit bel et bien d’un très bel ouvrage, superbement confectionné tant sur la forme que sur le fond (notamment avec sa narration, évoquée plus haut).
Et c’est avec intelligence que cette publication dépasse l’étonnement, voire le rejet que suscite l’essor de la technologie de l’IA générative, pour nous offrir un constat sans appel : un changement s’opère dans nos représentations et nos manières de voir. Un changement qui se répercute non seulement sur la photographie, mais d’autant plus sur la sculpture, le design, la peinture et l’architecture.

The Third Atlas, Éric Tabuchi
Éditeur : Poursuite
39 €, 320 pages dont 660 images, broché, 21 x 29 cm
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