La Surface et la Chair, Madame d’Ora au Pavillon Populaire de Montpellier

Réussissant le pari de rendre accessibles à tous des expositions photographiques exigeantes, le Pavillon Populaire de Montpellier accueille une nouvelle exposition, fidèle à sa volonté d’éduquer l’œil et de forger l’esprit critique de ses visiteurs.

La Surface et la Chair, Madame d’Ora, Vienne-Paris, 1907-1957 est la première exposition française consacrée à la photographe Dora Kallmus (1881 – 1963), alias Madame d’Ora. Encore peu connue du public, l’artiste a pourtant incarné l’une des figures de proue de la photographie féminine du début du siècle. Témoignage de force et de résilience, sa carrière aura duré plus de cinquante ans. 

d’Ora, Chapeau par Krieser, 1910 © Museum für Kunst und Gewerbe Hamburg

Saisir le faste de la Vienne impériale

Femme libre et indépendante née dans une famille juive de la bourgeoisie autrichienne, Dora Kallmus osera s’adonner à une activité alors largement réservée aux hommes. Sa persévérance la mènera jusqu’à la consécration. À 23 ans, Dora Kallmus poursuit un stage dans un studio photo et prend des cours de photographie à l’institut d’enseignement et de recherche en arts graphiques. En 1905, elle devient membre de la société photographique de Vienne et participe à ses premières expositions collectives.

Ses débuts de portraitiste mondaine dans la Vienne de 1900, alors laboratoire de la modernité en Europe, la mèneront à ouvrir son atelier en 1907 avant d’inaugurer son propre studio.

d’Ora, Colette, 1954, Ullstein Bild

Celle qui se fera appeler Madame d’Ora est l’une des premières femmes à ouvrir un studio de photo portrait à Vienne ; le succès est au rendez-vous. Le peintre Gustav Klimt, la ballerine Anna Pavlova et même l’empereur Charles 1er confieront à Madame d’Ora le soin de réaliser leur portrait.

Flattée par le sens de la pose, les jeux de lumière et l’art de la retouche de la photographe, cette très chic clientèle établit la réputation de Madame d’Ora. Les années folles sont celles de la légèreté et du glamour. L’effondrement de la monarchie et l’arrivée de la Première Guerre mondiale l’amèneront à se diriger vers d’autres modèles tels que des chanteurs, actrices et danseurs avant de se tourner vers la photographie de mode.

d’Ora, Les danseurs Anita Berber et Sebastian Droste dans « Suicide », 1922 © Vienne, Collection privée

Du Paris des années folles à la clandestinité

Installée en France depuis 1925, à la suite d’une offre parue dans L’Officiel de la Couture et de la Mode, Dora Kallmus y restera exilée durant la Seconde Guerre mondiale. À Paris, elle sera amenée à côtoyer à la fois les figures artistiques et aristocratiques de l’époque et les réfugiés les plus démunis.

Elle y avait ouvert en 1924 un studio consacré à la photographie de mode où se pressèrent Joséphine Baker, Gabrielle Chanel ou le peintre Fujita. Les créations de Balenciaga, Lanvin ou Chanel s’y succèdent à un rythme effréné pour répondre aux demandes des magazines. En 1928 d’Ora prend part au premier Salon indépendant de la photographie aux côtés de Man Ray.

d’Ora, Chaussures en cuir verni noir par Pinet, c. 1937 © Vienne, Photoinstitut Bonartes

Publiée dans de prestigieuses revues autrichiennes et françaises, Dora Kallmus sera ensuite mise à l’écart des magazines de mode en raison des lois aryennes. 1940 la contraindra à vendre son studio puis à se cacher à partir de 1942 en Ardèche, peu après avoir échappé à la rafle du Vel d’hiv. Menacée de déportation, elle esquivera de peu le funeste destin de sa sœur Anna demeurée en Autriche qui sera déportée et assassinée.

d’Ora, Dans un camp de réfugiés, 1946-1948 © Hambourg, Museum für Kunst und Gewerbe

L’après-guerre marquera un tournant dans son approche de la photographie et le choix de ses sujets. Alors que son monde est en ruine et qu’elle éprouve un deuil douloureux, Dora Kallmus trouve la force de transformer sa colère et son chagrin en une ardente flamme créatrice. En 1948, elle pénètre dans des camps de réfugiés autrichiens à Salzbourg et à Vienne où elle réalise des portraits sensibles et touchants

En 1949, Dora Kallmus s’éloigne radicalement du faste de la mode en poussant la porte des abattoirs parisiens. La série fera scandale. Têtes décapitées, entrailles, carcasses dépecées s’impriment sur sa pellicule, écho à peine voilé aux horreurs de la guerre. Femme de contrastes, Madame d’Ora n’en refuse pas moins des commandes privées passées par la haute société parisienne et l’intelligentsia artistique comme Pablo Picasso ou Jacques Tati. 

d’Ora, Tête de veau fendue, c. 1949–1957 © Collection Fritz Simak

Une rétrospective inédite et essentielle

L’accrochage rassemble des tirages issus de collections autrichiennes, allemandes et françaises. Précédemment présentée à Hambourg, Vienne, New York, Graz et Stockholm, l’exposition s’invite désormais à Montpellier, revisitée par une nouvelle médiation. 

Au fil des images, c’est toute l’histoire de la première moitié du XXe siècle qui se déroule devant nous. Reconnue de son vivant, la dernière exposition de 1958 consacrée à Madame d’Ora fut inaugurée par un vibrant hommage prononcé par Jean Cocteau. Elle regagnera l’Autriche en 1962 où elle décèdera une année plus tard à l’âge de 82 ans. Madame d’Ora aura à titre posthume une reconnaissance bien plus intimiste. L’exposition organisée à Montpellier est la première rétrospective française à lui être consacrée.

L’exposition La Surface et la Chair, Madame d’Ora Vienne-Paris, 1907-1957 est organisée sous le commissariat de Monika Faber et Magdalena Vuković et la direction artistique de Gilles Mora. Un catalogue d’exposition publié aux éditions Hazan est proposé au tarif de 24,95 € au Pavillon Populaire et en librairie.

Informations pratiques :
La surface et la chair, Madame d’Ora, Vienne-Paris, 1907-1957
Pavillon Populaire de Montpellier
Du 18 février au 16 avril 2023
Esplanade Charles de Gaulle — 34000 Montpellier
Du mardi au dimanche, de 10h à 13h et de 14h à 18h
Entrée libre et gratuite