Laurent Baheux : « j’aimerais que l’homme change de regard sur la relation qu’il entretient avec l’animal »

Photographe animalier connu pour ses photos en noir et blanc des animaux d’Afrique, Laurent Baheux a répondu à nos questions lors du Salon de la Photo 2018 à Paris. Il nous parle de son parcours, de son engagement pour la cause animale et de ses projets.

Comment êtes-vous arrivé à la photographie ?

De base j’étais rédacteur pour un journal qui couvrait l’actualité sportive et c’est la rédaction qui m’a demandé d’allier texte et photographie donc c’est un peu contraint que je m’y suis mis. Mais du coup je n’ai aucune formation ni en journalisme ni en photographie, je suis totalement autodidacte.

« J’ai vraiment ressenti le besoin de m’éloigner de toute cette activité humaine pour me reconnecter à la nature et au monde animal. »

Pourquoi avoir dévié du sport pour la photographie animalière ?

J’ai commencé à saturer de tout ça, de la vie citadine, de la foule des stades. J’ai vraiment ressenti le besoin de m’éloigner de toute cette activité humaine pour me reconnecter à la nature et au monde animal. Et c’est comme cela que j’ai eu envie de faire mon premier voyage qui était en Tanzanie. Et j’y ai très vite pris goût. Mais à ce moment-là je continuais de travailler pour les médias sportifs, mes voyages n’étaient que par plaisir et non avec un but de rémunération derrière. En une dizaine d’années, j’ai réussi à décrocher du sport. Les cinq premières années, je n’avais pas montré mes photos d’animaux donc je ne savais pas qu’elles pouvaient plaire. À partir du moment où je l’ai fait, j’ai vu que ça plaisait et pendant encore cinq ans j’ai continué de faire mes photos d’animaux à côté du journalisme pour agrandir ma collection. Aujourd’hui j’arrive à vivre uniquement des photos animalières.

Série Panthera Leo © Laurent Baheux
Série Panthera Leo © Laurent Baheux

C’est plus difficile de vivre de la photographie que du photojournalisme ?

On doit se creuser un peu plus la tête parce que mes photos de sport étaient sur commande pour les médias ce qui est donc relativement facile, il suffit de répondre à une demande. C’est un système économique assez simple. Pour la photo de nature en tant qu’auteur indépendant, c’est plus compliqué parce que personne n’attend rien de vous. Donc il faut réussir à diffuser votre travail via les galeries, les livres photo ou en vendant à la presse. Je pense que j’ai eu de la chance, je suis arrivé au bon moment, j’ai fait les bonnes rencontres pour qu’aujourd’hui on me sollicite et que mes partenariats fonctionnent assez rapidement.

« La photo de nature en tant qu’auteur indépendant, c’est plus compliqué parce que personne n’attend rien de vous. »

Série Hominidae © Laurent Baheux

Pourquoi le noir et blanc ?

J’ai appris la photo en noir et blanc au labo argentique et j’y ai vraiment pris goût. En tant qu’autodidacte je n’avais pas cette connaissance de l’histoire de la photographie, quand je me suis penché sur la question j’ai découvert le travail des grands humanistes du 20e siècle comme Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis ou Robert Doisneau. C’est ce qui m’a le plus inspiré et comme ils faisaient tous du noir et blanc ça m’a conforté dans mon idée.

Vous ne ferez jamais de la couleur ?

Pour les photos d’actualité sportive, j’ai dû en faire, mais pour mon travail personnel ce n’est pas ce qui me plaît. Après comme on dit, « ne jamais dire jamais » peut-être qu’un jour j’aurais cette envie, mais pas pour le moment en tout cas, ni depuis 15 ans.

Série Equidae © Laurent Baheux
Série Equidae © Laurent Baheux

Vous avec réalisé beaucoup de photos en Afrique, expliquez-nous quelles sont les conditions de vie et comment vous organisez vos voyages ?

En général je pars entre deux semaines et deux mois. À force d’y aller j’ai réussi à créer une petite logistique, sur place j’ai un véhicule et un guide qui m’attendent. Un guide local, un Kenyan qui s’appelle Maurice avec qui je voyage depuis une douzaine d’années et avec qui je m’entends très bien. On forme un petit binôme, il s’occupe de me conduire dans les endroits parfois accidentés et moi je fais les photos. Il connait très bien mes attentes donc il me met dans les meilleures conditions pour que je puisse faire mon travail. Né dans cet environnement, il repère plus facilement que moi les animaux.

Série Hominidae © Laurent Baheux

Vous avez une petite anecdote de vos séjours africains ?

Oui justement avec Maurice, lui qui a vraiment un oeil très fin pour repérer les animaux, il y a maintenant une bonne dizaine d’années, j’avais repéré un lion sur un rocher et lui me soutenait que c’était une pierre. Une pierre un peu dorée comme on en voit quelques fois là-bas, posée sur un autre rocher. Moi j’étais persuadé que c’était un lion. On s’est alors approché et c’était effectivement un lion. Pour une fois, j’avais repéré un animal avant lui ! C’était peut-être un coup de chance, mais c’était assez drôle.

Série Hippopotamidae © Laurent Baheux

Dans votre dernier livre Ice is black, vous avez photographié cette fois des paysages arctiques et des animaux polaires, pourquoi ce changement ?

J’ai envie de me confronter aux grands mammifères, j’aime cette rencontre avec les prédateurs et je voulais rencontrer l’ours polaire. Un animal qui est encore plus impressionnant que le lion ou le tigre, qui est le roi des prédateurs terrestres. Je voulais aussi me tester et voir si j’étais capable, comme lui, d’évoluer par un temps à -45 degrés. J’ai dormi dans une ancienne cabane de chasse et j’étais avec un guide aussi, un ancien Inuit. Les Inuits sont des chasseurs qui apprenaient à chasser le phoque en imitant les ours polaires. Les paysages arctiques sont vraiment différents avec les glaciers, les icebergs et les températures extrêmes. C’est comme une autre planète, un autre univers.

Ice is black © Laurent Baheux

Avez-vous eu peur quelquefois ?

Oui le froid peut faire peur, quand vous voulez photographier et que vous avez trois paires de gants, il faut en enlever deux sauf qu’avec le vent à -45 degrés on commence à ne plus sentir ses doigts. Surtout que le matériel en métal devient glacé. Ou lorsqu’on a des gelures sur les joues, oui on se sent un peu en danger. Après il y a le danger animal aussi. Je me suis fait chargé par un ours polaire et c’est vraiment très impressionnant. C’était un jeune ours donc c’était plutôt pour tester notre réaction. Mon guide s’est levé et a hurlé alors que moi je suis resté par terre. L’ours s’est arrêté et a poursuivi sa route. Mais quand un ours vous charge sur une quinzaine de mètres, c’est inoubliable.

Ice is black © Laurent Baheux

Quel message se cache derrière vos photos ?

Globalement, qu’il n’y a aucune raison de privilégier les intérêts humains à ceux des animaux. Notre capacité à détruire nourrit cette prétendue supériorité sur l’animal. On se croit plus fort simplement parce qu’on peut détruire plus de choses et c’est un rapport de force qui est assez malsain. On devrait avoir de la bienveillance envers les espèces plus « faibles » que nous et avoir un instinct de protection plutôt que de destruction. C’est ce qui m’attriste le plus et j’aimerais qu’à travers mon travail l’Homme change de regard sur la relation qu’il entretient avec l’animal. On a oublié qu’on était nous aussi des animaux et qu’on fait partie de cet ensemble. Si on le détruit, nous serons les premiers perdants, car sans environnement nous ne pouvons pas survivre.

Ice is black © Laurent Baheux

Avez-vous constaté un changement positif ou négatif durant vos 15 ans de carrière ?

Il y a une dizaine d’années, je pensais que montrer la beauté des animaux et des paysages suffirait à éveiller les consciences, maintenant je tiens un discours plus intense sur la destruction de la biodiversité dont on est responsable. J’ai donc remarqué une évolution plutôt négative, que ce soit en Afrique ou en Arctique. Les animaux survivent dans des territoires bien délimités où l’Homme est interdit. Mais dès que l’animal en sort, il se retrouve en confrontation avec l’Homme pour des questions de territoire. Pas exemple, un troupeau d’éléphants qui traverse un champ cultivé, se retrouve fatalement en conflit avec les villageois. Ils sont donc prisonniers des petites zones que l’Homme a délimitées pour lui et dans lesquelles il est tout juste toléré. J’ai encore l’espoir qu’un jour cela porte ses fruits. Je suis optimiste sur l’éducation, je pense que plus on travaillera sur le regard de nos enfants sur la nature plus on obtiendra de résultats et on pourra changer les choses.

Ice is black © Laurent Baheux

Des projets à venir ?

Je vais partir sur un tournage pour un documentaire pour Ushuaïa TV autour de mon travail sur la quête des animaux sauvages en Afrique, plus particulièrement sur le lion. Ensuite, je poursuis un travail sur les chevaux en liberté que j’ai commencé en Islande et que je vais continuer en Mongolie.

Votre animal préféré ?

J’ai tendance à dire le lion, même si ce n’est pas une espèce que j’aime, mais les moments passés avec. J’ai passé d’incroyables moments avec des animaux moins populaires comme la hyène, le renard polaire ou encore le varan terrestre.

Ice is black © Laurent Baheux

Nous remercions Laurent Baheux d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Pour découvrir plus de photos incroyables sur les animaux et la nature, rendez-vous sur son site internet et sur Instagram.