Architecte de formation, Oliver Wainwright s’est reconverti depuis six ans dans le journalisme et la photographie pour le quotidien anglais The Guardian. Le temps d’un voyage très contrôlé en Corée du Nord, il a photographié le pays le plus secret du monde par le prisme d’une architecture imposante et au service du régime et partage ses images dans son nouveau livre photo Inside North Korea édité chez Taschen.
Un voyage sous haute surveillance
Oliver Wainwright revient avec une oeuvre qui se veut esthétique et un brin politique. Il réussit à passer la frontière nord-coréenne l’été 2015 et nous fait découvrir sa sélection d’un peu plus de 200 clichés de ce pays très fermé. Il photographie Pyongyang et sa richesse architecturale qui mélange anciens bâtiments bétonnés et nouveaux buildings aux couleurs très pastels. Dans les 13 pages d’introduction, il raconte son voyage, l’histoire du pays, de l’architecture et ses impressions.
Dans ce beau livre (21 x 27.5 cm) concentré sur la ville de Pyongyang, le style est très clair et coloré, à commencer par les couvertures. Deux cents quarante pages traduites en français, anglais et allemand, dans lesquelles le jeune Britannique nous montre comment l’architecture des nouveaux bâtiments et la décoration incarnent l’idéologie communiste. L’architecture est là pour faire rêver le peuple et leur montrer la grandeur que veut atteindre Kim Jung Un.
Les sept premières pages sont uniquement des photos des mosaïques murales coréennes représentant la richesse, la grandeur et le pouvoir du chef ainsi que de ses prédécesseurs. Pendant son voyage, Oliver Wainwright fut encadré par trois guides officiels (unique moyen d’entrer sur le territoire nord-coréen) pour une visite totalement contrôlée et chronométrée. Pendant ces sept jours, le photographe ne pourra photographier que ce qu’on lui autorise, c’est-à-dire, les bâtiments sélectionnés pour les visites et les quelques personnes présentes sur les lieux. Interdiction donc de photographier ou même de « parler aux gens qu’on croise dans la rue, ni d’entrer dans leur habitation« , écrit Oliver Wainwright dans son livre.
L’originalité, la principale exigence de l’architecture
À travers six chapitres, City Views & Housing, Monuments, Museums & the arts, Sports & Education, Leisure & Hospitality, Pyongyang metro, le lecteur est invité à faire le tour de Pyongyang.
On y voit que la politique du byungjin de Kim Jung Un, qui vise à renforcer l’économie du pays et son arsenal nucléaire, donne un nouvel essor à la construction de cette ville. Ce chef désire relancer la renommée de Pyongyang dans le monde mais aussi convaincre son peuple de sa supériorité. Les photos de ce livre dévoilent des buildings et des monuments toujours plus originaux, comme l’hôtel Ryugyong, toujours plus hauts avec les statues de bronze à l’effigie de Kim Il Sun et Kim Jong Il qui devaient être « les plus grandes statues de bronze au monde« , depuis l’arrivée de Kim Jung Un au pouvoir.
Les nouveaux bâtiments de la ville surnommée par le peuple « Pyongattant » sont vêtus de couleurs enfantines et courbés de façon inhabituelle. Une ville aux airs de « Polly Pockets » ou de l’univers cinématographique de Wes Anderson. « L’architecture est utilisée comme un anesthésique, un outil puissant qui permet à l’Etat d’infantiliser son peuple« , explique Oliver Wainwright.
Chaque photographie est expliquée par un paragraphe pour que le lecteur comprenne chacun des monuments qu’il voit. Un livre à la fois beau à regarder mais aussi instructif. Excepté dans le dernier chapitre Pyongyang Metro où Oliver Wainwright donne l’impression de n’avoir pas grand chose à dire sur ce lieu très beau qui nous rappelle facilement le métro de Moscou avec ces grandes arches et ces lustres extravagants.
Témoin visuel de la propagande nord-coréenne
Le photographe réussit à immortaliser plusieurs lieux, que ce soit des habitations, des lieux publics ou politiques, chaque photo montrant que la Corée du Nord contrôle plus que bien l’art de faire semblant. Il photographie notamment les preuves d’une dictature omniprésente comme sur les lieux sportifs où les effigies de Kim Il Sung et Kim Jong Il sont affichés partout. Jusque dans les vestiaires des joueurs de football par exemple. Des vestiaires qui pourtant ne semblent avoir jamais servi. « Les règlements stipulent que, dans chaque pièce, un mur entier doit être réservé à leurs effigies, sans rien d’autre, et qu’ils doivent toujours être disposés en hauteur afin que nul ne puisse être plus haut que les leaders« , explique le journaliste.
Lors des visites, les personnes travaillant dans les lieux vantent les mérites des mètres carrés, de la capacité d’accueil, du peu de temps de construction mais surtout du nombre de passages que les leaders ont fait dans l’établissement. « La statistique la plus importante est invariablement le nombre de fois que les leaders avaient visités le site, un chiffre à l’importance presque sacrée, toujours inscrit dans une sacro-sainte plaque rouge et dorée au-dessus de l’entrée. »
En conclusion, ces photographies montrent une ville qui renaît de ses cendres, dans laquelle est regroupé tout signe de puissance nord-coréenne. Un monde qui inspire un niveau de vie confortable pour les habitants. Habitants qu’on ne voit pourtant que très rarement sur les photos du Britannique. Tout comme l’armée qui d’habitude est surexposée pour montrer la puissance militaire du pays mais n’est ici visible que sur deux images.
Une propagande maîtrisée à la perfection jusqu’au moment du retour. Les trois heures de route vers le Sud ont montré à Oliver Wainwright que le reste du pays lui, n’était qu’abandon, béton, ruines, coupures d’électricité, insécurité alimentaire, baisse du niveau de santé et d’éducation. Un pays à l’image des « contes de fées » oui, mais limité à la ville de Pyongyang. Oliver Wainwright n’a pas eu le droit de photographier cette partie du pays.
Inside North Korea, par Oliver Wainwright, paru le 24 juin 2018 est disponible sur Taschen et Amazon au tarif de 40€