Comme celui de tant d’autres héroïnes, le nom de Lizzie Le Blond (1860-1934) s’est peu à peu effacé. Plus d’un siècle plus tard, Sophie Chaffaut contribue à réparer cet oubli. La réalisatrice consacre à celle qui naquit Elizabeth Hawkins-Whitshed en 1860 un court métrage de 46 minutes : L’Ascension de Lizzie Le Blond.
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Il faut dire que le destin de cette Irlandaise née à Dublin a tout du roman. À 21 ans, elle s’installe dans les Alpes pour des questions de santé. Et c’est la passion qui lui redonnera souffle : d’abord celle de la photographie, puis celle de l’alpinisme, avant qu’elle ne s’aventure enfin du côté du cinéma.


S’élever pour s’émanciper
Lizzie Le Blond est une triple pionnière. Première de cordée, elle conjugue l’alpinisme au féminin, dans une posture d’éclaireuse qui la mènera à fonder à Londres le premier club alpin féminin, le Ladies Alpine Club.
À la fin du XIXᵉ siècle, l’alpinisme reste l’apanage de quelques passionnés, bien souvent une élite citadine que les habitants des vallées jugent farfelue : pour eux, les sommets abritent encore mystères et malédictions. Les femmes y sont rares, et celles qui documentent leurs exploits sont inexistantes — à l’exception de Lizzie Le Blond.
J’ai une énorme dette de reconnaissance envers les montagnes, qui m’ont permises de briser les chaînes des conventions, mais j’ai dû me battre pour ma liberté.
Lizzie Le Blond
Talentueuse alpiniste, née dans un milieu aristocratique ne la prédestinant en rien à ses exploits futurs, elle est d’abord une photographe aguerrie et récompensée et fait partie des rares à réussir leurs prises de vue en montagne, un territoire complexe à apprivoiser.
À Saint-Moritz, sans y attacher de l’importance, elle devient la toute première personne à documenter les sports d’hiver au cinématographe. Patins à glace, luge ou bobsleigh n’en sont alors qu’à leur balbutiement, tout comme son médium.


Si ses films ont disparus, 8 albums de ses photographies ont été préservés, aujourd’hui abrités au Safari Museum du Kansas et désormais numérisés (accessibles ici). 7 livres, des milliers de photographies prises sur plaques de verre lors de ses courses en montagne où l’accompagnait sa chambre photographique, 20 premières ascensions dans des conditions impossibles majoritairement hivernales, 2 courses réussies jusqu’au sommet du Mont-Blanc, des conférences.. puis des hivers recouvrant d’un manteau de silence les exploits de cette pionnière.


Après avoir passé une vie à braver les éléments, équipée d’un lourd matériel, mais aussi les conventions d’une époque patriarcale, Lizzie le Blond s’est engagée comme infirmière durant la Première Guerre mondiale. Elle recevra la Légion d’honneur et rédigera ses mémoires en 1928, avant de disparaitre en 1943 à 74 ans.


Un hommage hybride et contemplatif
Le projet de ce film documentaire est né du hasard. Sophie Chaffaut a découvert son héroïne par ses photographies alors qu’elle menait des recherches sur une autre figure féminine, Alice Guy-Blaché.
Impressionnée, elle décide de restaurer elle-même 60 images du fond photographique américain. 36 images restaurées, rendues à nouveau lisibles grâce au motion design, sans jamais trahir la vérité ou l’intention de leur auteur, figurent au montage du film qui exigera 4 années de travail.


Une cordée féminine, au-delà des âges
Avec le film L’Ascension de Lizzie Le Blond, Sophie Chaffaut ravive la mémoire de Lizzie Le Blond et avec elle, celle de toutes ces femmes qui ont osé fouler un territoire vierge pour y laisser leurs traces.
Pour marcher dans les pas de cette figure oubliée de l’Histoire, la réalisatrice a entrepris sa propre ascension : celle de la Pointe Burnaby (dont le nom n’est autre que celui de son héroïne, mariée à 4 reprises).
Si ta mémoire existe dans tes photos, tes écrits, je sais qu’elle existe aussi dans les cimes.
Sophie Chaffaut


Les images de cette humble ascension contemporaine, les archives et les entretiens avec des experts – sociologue, historiens, guide de haute montagne et conservateur – permettent de prendre la pleine mesure de ces exploits.


Affranchi de la notion de performance, à la croisée du récit intime, du documentaire contemplatif et du film d’archives, L’Ascension de Lizzie Le Blond tisse une cordée défiant les époques pour relier deux récits, interroger les notions de mémoire et d’invisibilisation. Grâce aux écrits de Lizzie, la voix de Lou Howard répond à celle de la vidéaste, la ramenant à la vie.




Derrière la caméra et l’appareil se tiennent en miroir deux femmes courageuses puisant dans les limites que le monde leur impose la force d’aller jusqu’à leur sommet.
À l’affiche de la sélection officielle 2025 des festivals Rêve de Montagne, Femmes en Montagne et Xplore Alpes Festival (où il a été récompensé du Prix Culture et Patrimoine) ce troisième court métrage de Sophie Chauffaut est proposé librement au public sur sa chaine Youtube depuis le 11 décembre 19h.




