Interview Sigma au Salon de la Photo 2025 : « On peut désormais se reposer sur les corrections internes des boîtiers pour faire des objectifs plus compacts et légers »

Le Salon de la Photo 2025 a été l’occasion pour nous d’échanger avec Foucauld Prové, Directeur Général chez Sigma France. La firme japonaise sort en effet d’une année faste marquée par le lancement de 8 objectifs et même 1 boîtier ! Nous avons pu revenir sur ces différents produits, sur la stratégie globale de Sigma, leur changement d’identité visuelle ou encore leur positionnement face à une concurrence plus variée que jamais.

Place à l’interview.

Interview Sigma Salon de la Photo 2025

L’année 2025 est très (très) remplie chez Sigma, avec déjà 1 nouveau boîtier (BF) et 8 optiques (16-300 mm, 300-600 mm, 35 f/1,2 II, 17-40 mm APS-C, 200 mm f/2, 12 mm APS-C, 20-200 mm, 135 mm f/1,4). Qu’est-ce qui justifie une telle dynamique ?

Vous savez très bien que nos ingénieurs travaillent constamment. Après, il y a des cycles de développement et probablement que tous les produits ne sont pas développés sur la même durée. Un 12 mm f/1,4 prend certainement beaucoup moins de temps à développer qu’un 300-600 mm f/4.

Et, à un moment, il peut arriver que tous ces projets aboutissent en même temps, et il faut les sortir. Quand on a un projet qui est terminé et un produit est réalisable, on ne va pas attendre quelques mois pour le plaisir d’attendre.

Nous sommes ainsi très satisfaits, nous espérons que les lecteurs et le public ont eu le temps et le loisir de découvrir toutes ces nouveautés.

Interview Sigma Salon de la Photo 2025

Avec un 300-600 mm f4 et un 200 mm f/2 – deux téléobjectifs lumineux et au fût blanc – est ce que Sigma cherche à se faire une place dans le cœur des photographes professionnels de sport ?

Nous essayons de le faire depuis déjà plusieurs années. Notre première vraie percée, ça a été le 150-600 mm f/5-6,3 DG OS HSM Sport pour reflex [lancé en 2015, NDLR]. C’est à ce moment que l’on a commencé à en voir sur les bords des stades, grâce à sa polyvalence et sa robustesse.

Interview Sigma Salon de la Photo 2025

Ensuite, on a sorti le 500 mm f/4 DG OS HSM Sports, également en montures reflex, Nikon F et Canon EF, qui a eu un gros succès commercial, autant apprécié par les photographes animaliers que de sports.

Notre président Kazuto Yamaki veut que Sigma soit la marque « choisie » par les consommateurs, un choix de cœur et de technique et non pas une contrainte. Pour arriver à cela, il faut avoir des optiques qui couvrent absolument tous les champs d’activité, comme les professionnels.

Est-ce que le passage du reflex à l’hybride a permis de nouvelles possibilités pour la conception d’optiques pros ?

Sur ce genre d’optiques [les longs téléobjectifs, NDLR], l’hybride ne change pas grand-chose. Nous avons bien assisté à une évolution technologique au niveau des moteurs, mais cela n’est pas dû aux hybrides.

Ceci étant dit, les appareils hybrides ont un autofocus meilleur que celui des reflex ; on peut tirer parti de cela en installant des moteurs plus puissants, plus rapides. La performance finale de l’optique ainsi que sa relation avec le boîtier sont meilleures.

On a vu des cas où, en utilisant une optique reflex montée sur un hybride via une bague d’adaptation, les performances étaient meilleures qu’avec les dernières générations de reflex.

Sur la conception des longues focales, l’apport de l’hybride n’est pas très marqué. C’est surtout sur les grand-angles que c’est plus décisif, où on peut aller chercher plus de compacité et de performances, jusque dans les coins de l’image.

Même si certains de vos nouveaux produits ne sont pas encore disponibles, lesquels sont les mieux accueillis ou les plus attendus, et pourquoi ?

En effet, le 300-600 mm f/4 DG OS Sports n’est toujours pas disponible. Depuis 6 mois, nous faisons face à une pénurie au niveau mondial. Depuis les premières livraisons en mars, cela n’arrive malheureusement plus qu’au compte-gouttes.

La capacité de production de l’usine n’est pas extensible à volonté, avec environ une centaine d’unités produites chaque mois et à partager dans le monde entier. Nous les livrons ainsi petit à petit, mais il en reste encore beaucoup en attente.

Il en va de même pour les BF, avec une capacité de production assez faible, et nous avons toujours du reliquat. C’est-à-dire que des consommateurs ont commandé aux magasins, qui attendent à présent qu’on les livre.

Interview Sigma Salon de la Photo 2025

Avant d’annoncer un produit on essaye d’avoir du stock, mais la réponse du marché est toujours différente des anticipations de l’industriel, surtout quand on a de très beaux produits.

Du côté du 16-300 mm f/3,5-6,7 DC OS Contemporary, on arrive maintenant à livrer correctement, mais c’est vrai que les premiers mois ont été compliqué. Également, le 17-40 mm f/1,8 DC Art rencontre un succès assez incroyable, notamment en monture Fujifilm X, et donc, pareil, l’usine a du mal à suivre. Il en va de même pour le 135 mm f/1,4 DG Art. C’est le revers d’un lancement de très nombreux produits qui ont été très bien accueillis.

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Au sujet du 35 mm f/1,2 DG II Art, comment avez-vous réussi à concevoir une version plus compacte et plus légère ?

Alors il y a deux choses : les algorithmes de corrections internes aux boîtiers se sont considérablement améliorés par rapport à la période 2018-2019, quand est sorti le premier modèle.

Ainsi, avec cette seconde version, on peut davantage se reposer sur ces avancées pour optimiser les performances optiques et réduire le nombre de lentilles, notamment celles qui corrigent les distorsions ou le vignettage. C’est un véritable atout des appareils hybrides, qui nous permet de concevoir des optiques plus compactes et légères. Tous nos confrères adopte la même approche.

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Pour mémoire, notre PDG, M. Yamaki, à l’époque des premiers objectifs de la gamme Art sur reflex, ne faisait pas encore confiance aux corrections intégrées au boîtier, car elles étaient beaucoup moins efficaces. C’est pour celasi que l’on avait des optiques relativement lourdes et imposantes.

D’autre part, il faut reconnaître que la technologie des lentilles a beaucoup progressé, avec notamment l’apparition de lentilles double asphériques, dont les faces interne et externe sont toutes deux asphériques. On utilise également des lentilles moulées à chaud, et, mis bout à bout, ces progrès permettent parfois de remplacer trois lentilles par une seule. On gagne ainsi considérablement en poids et en compacité.

Quelle part de marché pour Sigma France sur marché des objectifs ?

Nous ne pouvons communiquer aucun chiffre, mais ce que nous pouvons dire, c’est que la part de marché de Sigma progresse régulièrement depuis sept ans, et ce, malgré le nombre limité de montures dont nous disposons.

6 mois plus tard, êtes-vous satisfait du parcours réalisé par le Sigma BF ? Pensez-vous que cet hybride a réussi à trouver son public ?

Grâce au BF, notre part de marché augmente aussi sur les boîtiers. Il faut dire que la distribution des boîtiers Sigma a toujours été confidentielle. Mais, avec cet appareil, on adresse un autre public.

Nous avons reçu un très grand nombre de commandes dès le lancement, notamment de la part des revendeurs, et nous en enregistrons encore chaque jour. Face à une forte demande, nos capacités de production ne peuvent pas tout absorber.

Interview Sigma Salon de la Photo 2025

Le pari était très osé, mais finalement, il arrive peut-être exactement avec le bon timing. Au moment où les photographes peuvent avoir des aspirations différentes. On l’a notamment vu avec le renouveau du compact expert.

Chez Sigma, nous avons été les premiers à lancer des compacts experts équipés de capteurs APS-C en 2008, avec le DP1. Nous avons toutefois eu beaucoup de mal pendant une dizaine d’années et on a fini par quitter ce marché. Mais avec le succès du Fujifilm X100V, les compacts experts ont connu une renaissance incroyable, alors que personne n’y croyait il y a dix ans.

De son côté, le BF, placé entre les mains de personnes n’ayant jamais utilisé d’appareil photo, reste très accessible : son interface a été repensée pour se rapprocher de celle d’un smartphone.

Elle est bien plus intuitive que celle d’un boîtier classique doté d’une roue PSAM. Il faut d’ailleurs reconnaître que les interfaces et l’ergonomie ont peu évolué entre les reflex et les hybrides. Avec son interface et une ergonomie nouvelle, le BF répond, selon moi, à de nouvelles attentes des utilisateurs. C’est un boîtier plaisir.

Test Sigma BF au JAPON : un OVNI dans la photo ?

Et on a beaucoup de photographes pros qui achètent ce boîtier pour l’utiliser le week-end. Parce que quand vous êtes pro et que vous avez un Z9, un Z8 ou un R3 dans les mains toute la journée, ce n’est pas le produit que vous allez emmener avec vous en soirée ou en week-end. Mais par contre, un petit BF, compact, léger, joli, là on trouve une réponse.

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Plus généralement, comment se porte le marché des optiques “tierces” en ce moment ? Notamment avec l’arrivée de constructeurs chinois de plus en plus sérieux ?

Chez Sigma, on ne se considère plus comme un fabricant d’optique tierces depuis des années, puisqu’on est aussi un fabricant de boîtiers. Aujourd’hui, avec l’alliance L, il y a trois membres qui sont d’ailleurs dans ce cas de figure : Leica, Panasonic et Sigma.

De nouveaux membres, en revanche, sont de véritables fabricants d’optiques tierces. Nous suivons de très près l’arrivée de ces nouvelles marques, principalement chinoises, qui proposent des produits performants à des prix très raisonnables. Bien sûr, la structure de ces entreprises n’est pas comparable à celle de Sigma, ni à celles de Canon, Nikon, Sony, Fujifilm ou encore Ricoh/Pentax.

Par exemple, Sigma France a fêté ses 32 ans en septembre dernier et on a une place quand même relativement établie sur le marché français, avec des partenaires commerciaux historiques et importants.

Interview Sigma Salon de la Photo 2025

Pour autant, on ne dénigre pas ces nouveaux fabricants chinois, mais on se dit quand même qu’on a un petit peu de temps avant de les voir arriver dans notre rétroviseur, même s’ils vont vite. Nous ne voulons pas pécher par excès de confiance, mais nous ne sommes pas apeurés non plus.

Alors que la transition vers l’hybride semblait achevée, le reflex fait un peu de résistance. Avez-vous beaucoup de demandes et si oui, comment y répondez-vous ?

En ce qui concerne les optiques reflex, il n’y a pas que la demande, il y a aussi la question de la disponibilité de certains composants.

Les moteurs, les capteurs et d’autres pièces peuvent ne plus être fabriqués par les sous-traitants. Donc, à un moment, la production des optiques reflex s’arrête aussi par manque de composants et non uniquement parce que le marché se tarit. Par exemple, on a vendu plus de 150-600 mm f/5-6,3 DG OS HSM Contemporary sur le premier semestre 2025 que sur la même période en 2024. Mais on n’en a plus depuis fin juin. On note donc que la demande est encore très importante pour un produit reflex qui a 10 ans d’âge.


Et maintenant que les deux fabricants de boîtiers spécialisés dans la photo animalière ont lancé des modèles APS-C performants [Canon avec l’EOS R7 et Nikon avec le Z50 II, NDLR], on sait que de nombreux photographes privilégient ce format afin de profiter du facteur de crop et ainsi réduire l’angle de champ. Je pense également qu’un grand nombre d’utilisateurs achetaient auparavant ce zoom pour l’utiliser sur un boîtier hybride via un adaptateur.

Au premier semestre 2025, un objectif qui porte à 600 mm, qui ouvre à 6,3 et à un millier d’euros, on était les seuls à le proposer. Et donc je pense que ça a permis son succès sur la fin de vie.

Et oui, c’est assez amusant – et même paradoxal – mais certaines de nos références reflex voient leurs ventes augmenter. Cela s’explique par le fait que les utilisateurs de ce type d’optiques, comme les 24-70 mm, 150-600 mm ou 105 mm macro, se tournent désormais vers Sigma, puisque les fabricants de leurs boîtiers ne proposent plus ces modèles à leur catalogue. Malheureusement, chez nous aussi, ça va bientôt s’arrêter.

Pourquoi si peu d’objectifs Sigma en monture Nikon Z – et aucun en plein format ? Avez-vous beaucoup de demandes en ce sens ?

Les demandes sont récurrentes. Et malheureusement, moi, à mon niveau de directeur général de Sigma France, je n’ai pas la réponse à cette question.

Je ne sais pas pourquoi nous ne fabriquons pas plus d’objectifs pour la monture Z et aucun en plein format.

Le Sigma 20-200 mm f/3,5-6,3 DG Contemporary reprend une plage focale “classique” mais s’avère plus large au grand-angle. Pourquoi cela ? Avec une plage focale aussi polyvalence, n’y a-t-il pas un risque que l’homogénéité soit moins bonne au grand-angle ?

Les premiers retours que nous avons reçus sont plutôt positifs sur la qualité optique du produit, aussi bien au grand-angle qu’au téléobjectif. Bien sûr, un zoom polyvalent aussi compact et léger, ne va pas chercher la performance d’une focale fixe. Le but ici est avant tout d’offrir une plage focale la plus étendue possible dans un format le plus compact possible.

Concernant l’élargissement à 20 mm, je pense que c’est notre incursion dans le monde du cinéma qui nous a fait prendre conscience que l’ultra grand-angle est désormais indispensable en production vidéo. Ce type de focale est d’ailleurs de plus en plus apprécié, notamment grâce aux smartphones qui intègrent tous, depuis plusieurs années, un module ultra grand-angle.

C’est une très bonne idée, car c’est une optique extrêmement polyvalente. Les technologies actuelles permettent désormais d’obtenir des focales très larges tout en conservant un encombrement très réduit. Comme nous l’évoquions précédemment, c’est l’un des grands avantages des appareils hybrides. Aujourd’hui, un 20-200 mm peut avoir la même taille qu’un 24-200 mm ou un 28-200 mm d’il y a une dizaine d’années.

Sigma propose désormais 4 zooms pour les hybrides RF-S de Canon (10-18 mm, 18-50 mm, 17-40 mm et 16-300mm). Quels sont les retours – et vos ambitions – sur cette monture, sachant que Canon continue de verrouiller son écosystème en plein format ?

Les retours des clients sont très positifs. Les chiffres sont au rendez-vous. Notre ambition c’est de faire exactement comme au temps du reflex : proposer aux utilisateurs de boîtiers APS-C des optiques aussi qualitatives que celles que l’on peut trouver sur du plein format.

Notre 17-40 mm f/1,8 ne correspond pas tout à fait à un zoom transstandard en termes de plage focale, mais il offre des performances équivalentes, voire supérieures, à celles d’un 24-70 mm f/2,8.

Aujourd’hui, un professionnel peut donc s’équiper uniquement en APS-C et grâce aux objectifs Sigma, la qualité sera toujours au rendez-vous. Nous avons aussi 5 focales fixes ouvrant à f/1,4 et qui couvrent du 16 au 85 mm en équivalent 24×36. Nous disposons donc d’une gamme complète – la seule chose qui nous manque encore, c’est un téléobjectif.

En 2023, Kazuto Yamaki indiquait que Sigma arrêtait le développement d’optiques Micro 4/3. Selon vous, cet écosystème a-t-il encore un avenir ?

Nous ne fabriquons plus d’objectifs pour le micro 4/3 et j’imagine donc que notre direction n’envisage plus une croissance énorme pour ce format. Mais, pour fréquenter pas mal de festivals et de salons de photo animalière, on se rend bien compte que le micro 4/3 a quand même certains avantages.

Alors certes, du fait de la taille des capteurs et de leur définition limitée, ce ne sera pas le meilleur choix pour faire des agrandissements incroyables. Néanmoins, la compacité des optiques reste très pertinente pour les amateurs de photos de nature.

Nous le constatons bien avec OM System qui se concentre – avec raison – sur le marché de l’outdoor et de la photo animalière.

Qu’est-ce qui a justifié le changement d’identité visuelle en 2025 et quel a été son impact ?

Je ne suis pas certain que le changement d’identité graphique ait eu un réel impact en seulement 6 mois.

Quant aux raisons précises, je n’ai pas de réponse concrète. C’est un choix de notre président, qui avait déjà fait évoluer la marque en 2012 avec la création de Sigma Global Vision. Cette initiative avait conduit à la classification de nos produits en trois gammes – Art, Contemporary et Sports, une approche qui avait d’ailleurs été très bien accueillie par les utilisateurs.

Aujourd’hui, on va dire que c’est la deuxième étape de la « premiumisation » de la marque. On est le dernier fabricant à produire la totalité de nos produits au Japon, ce qui a un coût. Mais, on peut se permettre d’être encore une marque très abordable parce qu’on a notre usine d’Aizu Wakamatsu qui est intégrée et nous faisons très peu appel à des sous-traitants.

Cela permet de maîtriser à la fois les coûts et la qualité des composants de l’objectif, que nous estimons être la meilleure possible.

Foucauld Prové, Directeur Général chez Sigma France.

Merci à Foucauld Prové d’avoir répondu nos questions. Nous tenons également à remercier l’équipe de Sigma France pour cette interview.

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