Sandra Bennett, Twelve Year Old, Rocky Ford, Colorado, August 23, 1980, Photographs By Richard Avedon © The Richard Avedon Foundation

Richard Avedon, l’Ouest Américain mis à nu

Pour les 40 ans de In the American West, la Fondation Henri Cartier-Bresson présente la première exposition européenne réunissant l’ensemble des 103 portraits de Richard Avedon (1923-2004). À rebours des clichés, cette série monumentale offre une vision poignante et inédite de l’Ouest américain, à découvrir jusqu’au 12 octobre 2025.

Saisir l’époque, entre ombre et lumière

Né en 1923 à New York, Richard Avedon s’est imposé comme le maître de la photographie de mode, son talent l’établissant comme photographe attitré de Vogue et Harper’s Bazaar.

Richard Avedon, les coulisses du produit In The American West

À l’aube des années 80, Richard Avedon est au sommet de sa carrière. Son propre portrait fait la couverture de Newsweek (un honneur rare pour un photographe). Le personnage joué par Fred Astaire dans Funny Face, aux côtés d’Audrey Hepburn, s’inspire librement de lui. À cette époque, Richard Avedon est LE photographe américain par excellence, son appareil servant de miroir dans lequel se voient les plus belles femmes et les artistes de l’époque.

Pourtant, Avedon quitte régulièrement le confort des studios pour s’élancer sur les routes. Comme une respiration, ces fuites lui permettent de poursuivre un engagement au long cours pour dresser un autre portrait : celui des États-Unis, de leurs enjeux politiques, sociaux et culturels. Portraits de l’Establishment américain (The Family), grands brûlés de Saigon victimes du Napalm ou visages des militants pour les droits civiques ; Richard Avedon n’a cessé de traduire en image les tensions de son époque.

Jesse Kleinsasser, Pig Man, Hutterite Colony, Harlowton, Montana, June 23, 1983, Photographs By Richard Avedon © The Richard Avedon Foundation

Un projet monumental à contrecourant du mythe Midwest

Entre 1979 et 1984, à la demande de l’Amon Carter Museum of American Art (Forth Worth – Texas), Richard Avedon parcourt l’Ouest des États-Unis, loin des lumières des studios. Il est accompagné de deux assistantes et de Laura Wilson qui coordonne les séances de poses.

Réalisée au coeur de l’ère Républicaine, au plus fort de la récession, la série témoigne de la désindustrialisation et de l’agressivité de la politique néolibérale de Reagan envers les travailleurs et les classes populaires. Santa Fe, El Mason, San Antonio, Réserve Navajo d’Arizona… L’équipée enchainera les trajets durant 5 années, écumant les fêtes locales pour provoquer la rencontre qui inspirera le photographe.

Petra Alvarado, Factory Worker, On Her Birthday, El Paso, Texas, April 22, 1982 Photographs By Richard Avedon © The Richard Avedon Foundation

Éleveurs, mineurs, employés de forage, cowboys, forains, serveuses, sans-abris mais aussi prisonniers ou patients d’hôpital : tous passent devant la chambre photographique grand format (négatif de 20 x 25cm) s’ajoutant aux kilos de matériel transportés.

Pour ce projet, près d’un millier de portraits seront réalisés, mais seules 110 photographies seront montrées Toutes sont aujourd’hui présentées à la fondation Henri Cartier-Bresson.

Une série drapée dans la simplicité et la dignité

En 1942, Richard Avedon s’engageait auprès de la marine marchande pour réaliser les portraits d’identification des marins armé de son Leica. Pour In The American West, il s’inspire de ces images rudimentaires comme des petits portraits pris par les photographes itinérants au moment de la conquête de l’Ouest.

Photographiés de face sur fond blanc, les sujets sont saisis en extérieur, à la lumière naturelle. De simples toiles blanches tendues contre une grange ou une ferme servent de studio photo itinérant à ciel ouvert.

J’ai évité la lumière artificielle. Toute la série est éclairée par l’Ouest.

Dépouillés de tout décor ou folklore, ces visages et silhouettes racontent l’autre face du mythe américain. À rebours de l’imagerie héroïque du grand Ouest, Richard Avedon capte la fatigue, la rudesse, mais aussi la douceur et la dignité de celles et ceux qui vivent de la terre et de leur labeur.

Boyd Fortin, Thirteen Year Old Rattlesnake Skinner, Sweetwater, Texas, March 10, 1979, Photographs By Richard Avedon © The Richard Avedon Foundation

Derrière cette apparente simplicité se cache un processus de travail extrêmement complexe. Cinq années de prises de vue sont suivies de deux ans de production et de développement, étalant le projet sur près de dix ans. Cette épure renforce l’intimité du face-à-face : entre le modèle et le photographe, mais aussi entre ces portraits et le regard du spectateur.

Regardez une photographie d’Avedon : vous y verrez en action le paradoxe de tout grand art de grande race.

Roland Barthes

Les 103 images retenues pour le livre et l’exposition de l’époque (110 clichés en considérant les diptyques et triptyques de la série) seront tirées en 5 tailles différentes, des petits présentés à la fondation Henri Cartier-Bresson jusqu’aux grands formats de 120×94 cm exposés à l’époque (ainsi qu’en 2008 au Jeu de Paume, pour une sélection d’images) et jusqu’à 2 m de haut pour une dizaine de tirages.

Roger Tims, Jim Duncan, Leonard Markley, Don Belak, Coal Miners, Reliance, Wyoming, August 29, 1979, Photographs By Richard Avedon © The Richard Avedon Foundation

Une fiction documentaire

In The American West n’est pas un documentaire et n’a pas vocation à s’inscrire dans la lignée de Dorothea Lange. Sa force tient à la rupture initiée avec les codes du reportage et documentaire social. Ce projet est le résultat d’un point de vue subjectif, celui de Richard Avedon sur l’état des États-Unis. L’artiste ira jusqu’à parler de fiction pour présenter ce corpus unique dépassant le cadre de la commande photographique.

Ce caractère fictionnel est d’ailleurs mis en exergue par quelques portraits fabriqués, dont une image devenue mythique : celle de l’apiculteur. L’image a été intégralement mise en scène à la suite d’un rêve de Richard Avedon qui réalise des croquis préparatoires et, à l’aide d’une petite annonce dans l’American Bee Journal, recherchera le modèle idéal pour reproduire l’image forgée dans son esprit.

In The American West, Vues De L’exposition © Justine Grosset

Chef d’orchestre de sa composition, Richard Avedon parvenait à tisser une relation fusionnelle sans pareil avec ses modèles tout en les dirigeant implacablement par le regard, la gestuelle ou la voix.

Ronald Fischer, Beekeeper, Davis, California, May 9, 1981, Photographs By Richard Avedon © The Richard Avedon Foundation

Une visite au rythme de la lecture

Quarante ans après sa publication, In the American West nous revient grâce à la collaboration de la Fondation Henri Cartier-Bresson et de la Richard Avedon Foundation.

Des documents d’archive rares éclairent la genèse et l’accueil du projet. Les épreuves gélatino-argentiques et la première édition du livre sont exposés aux côtés de Polaroids préparatoires et tirages tests annotés par Richard Avedon. Des courriers échangés entre le photographe et ses modèles, parfois plusieurs années après leur rencontre, témoignent de la profondeur des liens établis.

C’est le jeu même de tirages sur lesquels travaillait le photographe qui a été retenu pour l’exposition. Ces tirages de références ont servi à la réalisation du livre et aux agrandissements ultérieurs. Un format qui, pour Clément Chéroux (directeur de la fondation Henri Cartier-Bresson), instaure une distance plus intime avec le public tout en plaçant le visiteur dans les pas du photographe, Richard Avedon se tenant à côté de son objectif, déclencheur à la main.

Cette exposition photo est d’abord un hommage au livre. Le rythme de l’accrochage a été dicté par la monographie pour en conserver la spontanéité et l’authenticité. Un respect scrupuleux de l’ordre d’apparition des portraits mais aussi des respirations. Une page vierge se matérialise par un espace vide et une double page par des tirages accolés. Au mur, les tirages de Richard Avedon semblent danser autour de leur visiteur.

Un livre culte réédité

Avec sa monographie publiée en 1985, Richard Avedon signait l’un des temps forts du portrait photographique. En tenant à l’écart l’idéalisation comme le misérabilisme, il est parvenu à faire de chaque portrait le reflet sincère et complexe de la vision qui’l posait sur une personne.

David Beason, Shipping Clerk, Denver, Colorado, July 25, 1981, Photographs By Richard Avedon © The Richard Avedon Foundation

Pour accompagner cette rétrospective évènement, l’éditeur Abrams réédite In the American West dans son format original, longtemps épuisé. Une publication anglophone rare qui permet de prolonger cette immersion dans une Amérique aux multiples visages.

L’ouvrage prévu en librairie en septembre 2025 est déjà proposé en exclusivité à la librairie de la Fondation Henri Cartier-Bresson (120 €).

Infos pratiques :
Richard Avedon, In the American West
Du 30 avril au 12 octobre 2025
Fondation Henri Cartier-Bresson
79 Rue des Archives, 75003 Paris
Du mardi au dimanche, de 11h à 19h
Plein tarif 10 €, tarif réduit 6 €