Images à la Sauvette, publié en 1952 par Tériade, est l’un des ouvrages photo les plus influents de l’histoire. Ce livre regroupe des clichés des vingt premières années de la carrière d’Henri Cartier-Bresson. La version américaine, intitulée The Decisive Moment, a d’ailleurs popularisé le concept d’instant décisif, devenu central dans la philosophie photographique de Cartier-Bresson. Avec une couverture originale de Henri Matisse, le livre bénéficie aujourd’hui d’une seconde édition.
Réédition du livre, 73 ans plus tard
La Fondation Henri Cartier-Bresson a réédité ce livre historique dans un format plus accessible. Cette nouvelle édition conserve tous les éléments de l’original de 1952, avec 126 photographies, tout en incluant une étude des conditions de sa réalisation, de son succès critique et des enjeux liés au choix du titre, rédigée par Clément Chéroux, directeur de la Fondation HCB.

Henri Cartier-Bresson (1908-2004) est une figure emblématique de la photographie du XXe siècle. Il est considéré comme un pionnier du photojournalisme et un maître de « l’instant décisif ». Son approche consistait à capturer un moment bref qui, à lui seul, raconte une histoire ou transcende l’instant.
L’instant décisif d’Henri Cartier-Bresson
L’instant décisif, c’est capturer un instant précis où tous les éléments d’une scène se combinent pour créer une image parfaite, non seulement en termes d’action, mais aussi d‘émotion et de composition. Il ne s’agit pas seulement d’appuyer sur le déclencheur, mais de reconnaître le moment où la forme et le sens se croisent.

Cette notion a été popularisée par la version américaine du livre. « The Decisive Moment » est en effet le titre choisi outre-Atlantique, dont l’expression a ensuite été traduite à nouveau en français par l’éditeur, mais par “l’instant décisif” plutôt que le moment.
Cartier-Bresson accordait une grande importance à la composition et à la géométrie de ses photos. Il utilisait des lignes, des formes et des motifs pour créer des images visuellement saisissantes.
L’anticipation est essentielle pour capturer l’instant décisif. Il faut être capable de prédire où l’action pourrait se dérouler et se positionner en conséquence. Le timing est tout aussi important. Il s’agit de déclencher au moment exact où tous les éléments s’alignent parfaitement.
Un exemple célèbre de ce concept est la photographie prise par Cartier-Bresson derrière la gare Saint-Lazare à Paris en 1932. Le cliché illustre parfaitement la capture d’un mouvement au moment idéal, où le personnage principal répète la silhouette d’une affiche en arrière-plan, et où le reflet du sauteur dans l’eau crée un effet de dédoublement.
Entre l’interprétation intime et l’observation documentaire
Images à la Sauvette – qui aurait pu s’appeler “À pas de loup”, comme on l’apprend dans le livre – reflète la dualité de l’œuvre de Cartier-Bresson, oscillant entre l’interprétation intime et l’observation documentaire. De 1923 à 1947, son travail était plus subjectif, mais après 1947, avec la création de l’agence Magnum, il a adopté une approche plus documentaire, tout en maintenant une interaction entre ces deux aspects.

Le livre peut également être séparé en deux géographies, avec les images de la première partie réalisées majoritairement en France, en Europe, au Mexique et aux Etats-Unis, tandis que la seconde partie (Oriental Section, dans la version américaine) regroupe des clichés réalisés en Inde, en Indonésie, au Moyen-Orient ou encore en Chine.
Images à la Sauvette, publié en octobre 1952, est immédiatement perçu comme un ouvrage unique dans l’édition photographique. Plus grand et mieux fabriqué que ses prédécesseurs, il se distingue aussi par sa couverture signée d’un grand artiste et son texte rédigé par Cartier-Bresson lui-même, plutôt que par un écrivain reconnu.
Son accueil critique est enthousiaste, avec des éloges de figures comme Jean Cocteau et Joan Miró. Malgré des ventes correctes mais insuffisantes pour un second tirage, le livre deviendra une référence incontournable, influençant de nombreux photographes.
Un livre photo novateur et fondateur
Le livre a été novateur à plusieurs niveaux. La qualité des héliogravures et la maquette épurée ont contribué à son succès. L’ouvrage a été considéré comme une « bible pour les photographes »par Robert Capa, en raison de sa capacité à transmettre l’essence de la photographie à travers des images puissantes et émotionnelles.

D’ailleurs, Henri Cartier-Bresson disait en 1951 lors d’une interview, que “notre image finale, c’est celle imprimée”, et au-delà de la presse, qui souvent déformait l’image en utilisant ses propres mots. C’est pour cela que Cartier-Bresson a très tôt pensé ses images dans des livres photo. Si l’on met de côté ses projets inachevés ainsi qu’un catalogue d’exposition au MoMa, Images à la Sauvette est le premier véritable livre de l’auteur.
En résumé, Images à la Sauvette est un ouvrage emblématique qui a marqué l’histoire de la photographie par sa beauté artistique, sa profondeur émotionnelle et son influence durable sur les générations de photographes. Cette réédition devrait permettre à un plus grand nombre d’y accéder, d’autant plus que la première édition est très recherchée par les collectionneurs et se négocie à des tarifs stratosphériques.
Infos pratiques :
Images à la Sauvette, Henri Cartier-Bresson
Éditeur : Fondation Henri Cartier-Bresson
42 €, 180 pages, format relié, 17 x 23 cm
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