Quand l’IA réécrit nos souvenirs : Serge Tisseron interroge notre mémoire photographique

L’intelligence artificielle s’invite désormais dans tous les débats. Mais au-delà des discussions techniques et éthiques sur l’IA générative, quel impact peut-elle avoir sur nos albums photo de famille et notre perception du passé ? Peu ont mis en lumière le rôle que l’IA peut jouer dans nos souvenirs en pénétrant nos foyers.

C’est ce thème fascinant que Serge Tisseron, psychiatre, docteur en psychologie HDR et membre de l’Académie des technologies, explore dans son livre Le Jour où j’ai Tué mon Frère, Quand l’IA fabrique la photographie de nos souvenirs.

Une quête de mémoire née d’un souvenir flou

Tout commence avec un album de famille. En le feuilletant, Serge Tisseron est surpris de ne pas retrouver une photographie de 1957, dont il garde pourtant un souvenir très net. Déguisé en cow-boy, il mime un tir sur son frère qui s’écroule devant l’objectif de l’appareil photo de leur père.

Une idée fixe naît : retrouver cette image perdue. Serge Tisseron entreprend de la reproduire par le dessin, mais ses traits deviennent de plus en plus incertains, jusqu’à remettre en question l’authenticité de ce souvenir.

Quand l’IA tente de reconstituer le passé

Face à ce doute, Serge Tisseron décide d’utiliser l’intelligence artificielle pour tenter de générer l’image perdue. Il teste 3 outils (DALL-E, Picasart et Adobe) et rédige un prompt précis pour recréer la scène telle qu’il s’en souvient.

Plusieurs des images générées sont hors-sujet, sur d’autres s’invitent des ajouts incohérents. Déçu, il abandonne temporairement son idée, jusqu’à une conférence de Lucie de Barbuat et Simon Brodbeck, experts en IA générative. Il leur lance alors un défi : créer l’image à l’aide de Midjourney uniquement à partir de sa mémoire.

L’image recréée… et l’image retrouvée : un choc révélateur

L’expérience prend une nouvelle tournure. Complexe, la création de l’image fait peu à peu évoluer le souvenir de Serge Tisseron, preuve de l’emprise des images extérieures sur l’intime. Dépassant son rôle d’outil de reconstitution, l’IA devient un acteur semblant capable de façonner le passé. L’expérience s’arrête à l’obtention d’une image suffisamment proche de celle évoquée par Serge Tisseron, un souvenir qui s’effrite à mesure que l’IA soumet ses nouvelles suggestions

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais le hasard mit sur son chemin l’originale retrouvée. Et surprise… la photo ne correspond pas au souvenir que Serge Tisseron avait en tête. Si les rôles sont les bons, la posture des personnages est différente. L’IA n’a pas tant déformé l’image que matérialisé la représentation mentale de son commanditaire.

Un livre-enquête sur nos imaginaires

Au-delà d’une quête sur le fonctionnement de la mémoire, ce livre témoigne de la manière nouvelle dont l’IA peut interférer avec notre passé en nous permettant de créer des images fidèles à nos souvenirs, plutôt qu’aux faits. Mise en scène, sourires de circonstances, partis-pris de leur auteur : une photographie n’est-elle toutefois jamais vraie ?

À la lisière des mémoires, de l’essai technique et psychologique Le Jour où J’ai Tué Mon Frère nous invite non pas à imaginer la possibilité d’images fabriquées dans nos albums personnels, une quasi-certitude pour l’auteur, mais plutôt à questionner les imaginaires au service desquelles ces clichés seront créés. Le récit de la genèse de cette expérience y voisine avec des photographies des albums de famille de Serge Tisseron et celles générés à l’aide d’intelligences artificielles.

Le Jour où j’ai Tué mon Frère, Quand l’IA fabrique la photographie de nos souvenirs (15 x 21 cm, 96 pages, 12 photographies) est publié par Lamaindonne dans la collection poursuites et ricochets. Proposé au prix de 20€, le livre, actuellement disponible en commande sur le site de l’éditeur, sera en librairie dès le 26 février.