Instagram et droit d’auteur : vos photos peuvent être repartagées sans votre accord selon la justice américaine

La justice américaine vient de rendre une décision majeure à propos de la réutilisation des photos Instagram par les entreprises de média – et tout site web. D’après ce verdict, les médias ont bien le droit d’intégrer dans leurs articles une photo postée sur Instagram par un photographe professionnel sans violer le droit d’auteur. Et ce, grâce à une clause stipulée dans les conditions d’utilisation de la plateforme que personne ne lit.

Retour sur ce jugement historique et ses implications pour les médias, la photographie et les réseaux sociaux. 

Un article promouvant les femmes photographes

Cette affaire débute en 2016, lorsque le site américain Mashable souhaite rédiger un article mettant en lumière le travail de 10 femmes photographes. Le média contacte alors Stephanie Sinclair, photojournaliste de renom ayant notamment collaboré avec le National Geographic, le Time Magazine ou le New-York Times Magazine. Le média lui propose une rétribution de 50 $ pour l’utilisation d’une de ses photos – ce à quoi la photographie oppose un refus.

Mashable décide alors de contourner cet obstacle en intégrant sur son site une photo que Stephanie Sinclair avait publié sur Instagram. Ce faisant, le média exploitait une fonctionnalité de la plateforme, qui permet d’intégrer une image sur un site Internet sans avoir à télécharger l’image.

Mashable Instagram
Le post Instagram intégré par Mashable au sein de son article

Dans les faits, ce dispositif repose sur une technique appelée « embed », qui permet à un site web d’intégrer les contenus d’un autre site, sans en héberger le contenu. En conséquence, l’image de Stephanie Sinclair n’était donc pas stockée sur le serveur du site de Mashable, mais bien sur ceux d’Instagram.

Malgré tout, Stephanie Sinclair y voit une violation de la réglementation sur le droit d’auteur, et décide d’intenter un procès à Mashable.

Le verdict du juge de New-York

Dans sa décision rendue le 13 avril dernier, le juge Kimba Wood en charge de l’affaire a donné raison à Mashable – et a débouté Stephanie Sinclair. Pour rendre sa décision, le juge s’est basé sur les conditions générales d’utilisation d’Instagram. Ces dernières stipulent que les utilisateurs accordent à la plateforme « un droit non-exclusif, libre de droits, transférable, sous-licenciable et mondial » pour chaque image postée sur le réseau social.

Lorsqu’une photo est publiée sur un compte public – ce qui est le cas pour celui de Stephanie Sinclair – les utilisations prévues incluent, entre autres, l’intégration sur un site tiers (embed). Ce qui, d’après le juge, inclut bien un droit de sous-licence permettant d’intégrer l’image sur un site web. Et qui rend donc les questions de droit d’auteur non-applicables dans ce cas de figure.

Instagram embed

Selon le tribunal, en acceptant les conditions d’utilisation d’Instagram lors de la création de son compte et en publiant la photo sur son compte public, la photographe a fait son choix et a conclu cet accord avec Instagram, ainsi qu’avec tous ceux qui souhaitent republier son contenu via la fonctionnalité d’intégration.

Instagram Phototrend

Instagram impose ses conditions aux photographes pour la réutilisation de leurs images

En réaction à cette décision, Sinclair a soulevé que les conditions d’Instagram imposent un dilemme qu’elle juge injuste. Selon elle, la plateforme oblige les utilisateurs à faire un choix cornélien. Soit utiliser Instagram – et laisser d’autres utilisateurs réutiliser ses photos à l’envi. Soit devoir quitter l’un des réseaux sociaux les plus populaires au monde, qui assure aux professionnels une visibilité essentielle.

« De par sa position dominante, liée à son milliard d’utilisateurs inscrits, Instagram est en capacité d’impose ses propres conditions aux utilisateurs« , indique le juge Wood. « Mais en postant une photo sur son compte Instagram public, la plaignante a pris sa décision« , poursuit-il. « La cour ne peut pas la délivrer d’un accord qu’elle a elle-même contracté », conclut-il.

Ce jugement a été rendu aux États-Unis et n’a pas force de loi – comme le rappelle l’avocat de Stephanie Sinclair, qui a indiqué vouloir faire appel. Rappelons également que les législations encadrant le droit d’auteur sont différentes d’un pays à un autre.

Dans tous les cas, la réutilisation non-autorisée d’une photo par une tierce personne demeure interdite – sauf autorisation expresse du titulaire des droits de la photo.

Cependant, ce jugement interroge le rôle des réseaux sociaux dans la (re)distribution de nos images, notamment à travers la fonction dite d’intégration (embed).

De même, il doit attirer notre attention sur les clauses présentes dans les conditions générales d’utilisation. Ces dernières sont (très) complexes, ce qui peut induire en confusion un bon nombre d’utilisateurs. Mais les centaines de clauses qui y sont présentes ont de réelles implications quant à la manière dont sont stockées et distribuées nos images.

Ce verdict nous rappelle donc les implications des conditions d’utilisation que nous imposent les réseaux sociaux… et que nous ne prenons (presque) jamais le temps de lire.