Interview Sigma au CP+ 2023 : « nous voulons lancer plus d’objectifs uniques »

Le salon CP+ de Yokohama (Japon) fête son grand retour. Phototrend a fait le déplacement et nous nous sommes entretenus avec Kazuto Yamaki, PDG de Sigma Corp. Nous avions récemment échanger avec Kazuto durant les dernières Rencontres de la Photographie d’Arles.

À l’occasion de l’arrivée de trois objectifs Sigma en monture Z, il détaille la stratégie de Sigma au sujet des hybrides de Nikon. Il revient également sur les dernières nouveautés technologiques qui équipent les récents Sigma 50 mm f/1,4 DG DN Art et Sigma 60-600 mm f/4,5-6,3 DG DN OS Sports, et nous donne quelques nouvelles au sujet du prochain boîtier à capteur Foveon. Place à l’interview.

Sigma vient d’annoncer 3 nouvelles optiques pour la monture Nikon Z. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous étions conscients d’une forte demande des utilisateurs d’hybrides Nikon en monture Z pour des optiques Sigma. Mais de nombreux points devaient être étudiés avant de pouvoir nous lancer. Aujourd’hui, nous lançons trois objectifs Sigma pour la monture Z.

Beaucoup d’utilisateurs attendaient avec impatience cette arrivée de Sigma sur la monture Z. Pouvez-vous nous expliquer la stratégie que suivra Sigma en la matière ?

Pour l’instant, nous lançons ces 3 objectifs en monture Z. Et nous attendons de voir la réaction des utilisateurs de boîtiers Nikon. Pour l’heure, nous n’avons pas de plan spécifique concernant le développement d’objectifs en monture Z, mais si leur accueil sur le marché est positif, nous envisagerons de développer cette gamme d’objectifs. Personnellement, c’est ce que j’aimerais faire.

Phototrend Sigma CP+ 2023

Toujours au sujet de la monture Z : pourquoi débuter avec l’APS-C et non pas avec le plein format ?

Nous avons étudié avec beaucoup d’attention ce qui conviendrait le mieux aux utilisateurs Nikon. Du côté de l’APS-C, le parc optique de la monture Z n’est pas spécialement développé. Nous y avons vu une opportunité. Et nous pensons que les nikonistes aimeront beaucoup ces objectifs pour leur boîtier APS-C.

Ne pensez-vous pas que la base d’utilisateurs soit plus conséquente du côté du plein format ?

Nous sommes toujours heureux de pouvoir aider les photographes avertis. Dans le futur, j’espère que nous pourrons nous adresser à la cible utilisant un boîtier plein format. Mais pour l’instant, cela n’est pas dans nos intentions.

Des rumeurs indiquent que Nikon ouvre sa monture Z, mais à condition que les optiques « tierces » n’entrent pas directement en concurrence avec ses propres objectifs. Est-ce le cas ?

Personnellement, je ne suis pas au courant de cela. Le lancement de ces 3 optiques (16, 30 et 56 mm, NDLR) est issu de notre propre décision. J’ignore quelle est la stratégie de Nikon en la matière. Les rumeurs que vous évoquez ont du sens pour Nikon, mais de mon côté je n’en sais pas plus que vous.

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En contraste, Canon continue de verrouiller sa monture RF. Selon vous, quels sont les bénéfices à une telle stratégie de fermeture ?

C’est une décision stratégique de Canon, donc j’ignore quelles sont leurs intentions. D’un autre côté, la monture RF a seulement 5 ans, donc ils ont sans doute encore besoin d’un peu de temps pour étudier le marché.

Le Sigma 50 mm f/1,4 DG DN Art est la première focale fixe à employer une motorisation autofocus HLA. Pourquoi cela ?

La motorisation HLA a un temps de réaction beaucoup plus court qu’une motorisation pas-à-pas « classique ». À la clé, un autofocus plus rapide et plus silencieux. Nous avons pensé que les utilisateurs avertis, qui utilisent les focales fixes, apprécieront cette motorisation HLA.

Allons-nous retrouver cette motorisation dans d’autres focales fixes ?

Oui, c’est notre but. Nous allons employer cette motorisation dans de nombreuses catégories d’objectifs : téléobjectifs, grand-angle… Le seul défi, comparé aux moteurs linéaires, est l’encombrement. Si nous avons besoin de concevoir une optique de très petite taille, nous aurons sans doute besoin d’employer un moteur pas-à-pas. En-dehors de ce cas précis, nous utiliserons la technologie HLA de plus en plus souvent.

De son côté, Sony a commencé à utiliser un système d’autofocus multi-groupes. Qu’en est-il du côté de Sigma ?

Oui, cela fait partie de nos objectifs. L’AF multi-groupe aide à accroître la vitesse de mise au point ainsi que la qualité d’image. Donc nous allons nous aussi exploiter cette technologie.

Est-ce que l’AF multi-groupes aide à réduire la taille des objectifs, ou est-ce plus compliqué que cela ?

Eh bien, cela dépend. Dans certains cas, cette technologie tend à rendre les objectifs plus encombrants, car elle nécessite d’avoir deux espaces pour le déplacement de la lentille de mise au point. Lorsqu’une seule lentille se déplace, nous pouvons réduire l’espace requis et rendre l’objectif plus compact. Cela dépend donc de la construction optique de l’objectif.

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Le Sigma 50 mm f/1,4 DG DN Art inaugure une toute nouvelle formule optique : de quelle manière va-t-elle accroître la qualité d’image ?

Cette optique est assez unique, compte tenu de ce qu’est le marché aujourd’hui. Car il existe un très grand nombre de 50 mm pour la monture Sony E et la monture L. Nous avons eu de nombreuses discussions en interne, et notre ingénieur optiques a voulu employer une conception unique. Je le connais depuis plus de 15 ans, et je le tiens en haute estime.

Après son déjeuner, il prend toujours une heure pour tester la qualité d’image des nombreux objectifs. Pas seulement ceux de Sigma, mais également ceux de Canon, Nikon, Sony ou Tamron. Et il regarde toujours la corrélation entre performance optique et netteté de l’image. L’une de ses conclusions est qu’une performance égale du centre aux bords de l’image, rend l’image très impressionnante.

Notre nouveau Sigma 50 mm f/1,4 DG DN Art est très performant, du centre jusqu’aux extrémités du champ. L’homogénéité est quasiment parfaite. Les objectifs récents offrent tous de très bonnes performances au centre, mais tous ne sont pas en mesure d’offrir une bonne restitution des coins. Et les photographes sont capables de se rendre compte d’une dégradation des performances sur les bords. Notre objectif était donc d’offrir une homogénéité maximale, avec une restitution parfaite, du centre jusqu’aux bords.

L’objectif utilise un concept similaire à celui des objectifs Zeiss Plannar. Nous avons accompli un très bon travail, et je pense que notre objectif est atteint.

La série ART semble être au complet et est dotée des technologies les plus récentes (en monture E et L) : quels sont les prochains défis pour Sigma sur cette gamme ?

Nous avons l’intention de lancer plus d’objectifs innovants et uniques en leur genre. Nous avons dans notre portfolio toutes les optiques « de base » ; aussi, nous pourrons avancer vers des objectifs différents.

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De quelle manière seront-ils uniques en leur genre ?

Ils seront remarquables de par leur longueur focale, leur valeur d’ouverture, leur taille, ou encore par leur capacité à répondre à des besoins spécifiques. Car les demandes des photographes se diversifient.

Par le passé, les gens se contentaient d’un objectif 24-70 mm et d’un téléobjectif 70-200 mm. Et éventuellement, ils acquéraient un 16-35 mm ou un 12-24 mm. 

Aujourd’hui, les photographes aiment aussi utiliser des focales fixes très lumineuses, des téléobjectifs à longue portée, ou des objectifs ultra grand-angle. C’est ce type d’objectifs que nous avons envie de lancer pour les photographes d’aujourd’hui.

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En janvier dernier, vous avez annoncé le nouveau Sigma 60-600 mm f/4,5-6,3 DG DN OS Sports. Le « Bigma » est-il de retour ? Quelles différences avec la version reflex ?

Cette appellation « Bigma » ne vient pas de Sigma (rire) ! Cette appellation vient sans doute d’utilisateurs américains.

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Nous nous sommes basés sur l’ancienne version reflex pour concevoir ce nouveau 60-600 mm, mais nous avons réussi à améliorer la qualité d’image, car nous possédions déjà la technologie pour produire un zoom x10 de qualité. La difficulté étant de livrer une performance optique constante, d’une extrémité de la plage focale à l’autre. Avec ce nouvel objectif, nous offrons un très bon rendu de la scène, à 60 mm comme à 600 mm. Nous sommes très satisfaits des performances de cet objectif.

Pouvez-vous nous donner des nouvelles au sujet du développement du nouveau capteur Foveon ?

Nous en sommes toujours au stade du développement technologique. Nous n’avons pas encore atteint l’étape du prototype final pour le capteur plein format. Nous fabriquons toujours un capteur plus petit, mais avec une taille de pixels et une architecture identique. Nous essayons maintenant d’employer les dernières techniques de fabrication du wafer (une plaque de silicium gravée à partir de laquelle est créée le capteur, NLDR).

Mais les entreprises de semi-conducteurs sont très occupées. Nous devons donc utiliser les technologies actuelles pour concevoir notre propre capteur à 3 couches. Nous travaillons ardemment avec la fab (usine de semi-conducteurs) pour améliorer notre capteur avec leurs technologies. Durant cette étape, nous trouvons forcément des défis techniques. Certains d’entre eux doivent encore être résolus. Une fois cette étape franchie, nous aurons notre nouveau capteur. Cela nécessite donc encore un peu de temps.

En termes d’environnement, certains constructeurs utilisent du plastique recyclé, comme Sony avec le Sorplas sur certaines parties extérieures de leurs appareils compact. Que fait Sigma pour limiter son empreinte carbone ?

En toute honnêteté, nous n’utilisons pas de plastique recyclé sur nos produits. Tous sont fabriqués à partir de matériaux neufs. Car il est très difficile d’atteindre le même niveau de précision avec du plastique recyclé.

Cependant, nous utilisons des plastiques recyclés pour les outils que nous employons sur nos lignes de production. Nos outils sont conçus en interne par une division spécifique, contrairement à d’autres marques. Lors des différentes étapes de la production, nous avons beaucoup de déchets, que nous réutilisons pour nos propres outils. 

Si nous n’utilisons pas de matériaux recyclés dans nos produits, nous en utilisons donc pour nos propres besoins, en interne. C’est une manière de faire que nous avons développée après la pandémie du Covid, il y a déjà 2 à 3 ans.

Sigma étant une entreprise privée, vous n’avez pas d’obligation légale de divulguer les résultats financiers. Cependant, comment envisagez-vous l’année 2023 ?

L’année 2023 pourrait être assez difficile au niveau économique. Pendant l’épidémie du Covid, les conditions économiques étaient bonnes en Amérique du Nord, et les consommateurs ont continué à acheter nos produits. Nous avons enregistré de bons résultats en 2020 et 2021. Mais cette année, l’activité économique ralentit en Europe et en Amérique du Nord, tandis que la Chine est en difficulté. 2023 pourrait être une année problématique pour nous.

En tant qu’entreprise familiale privée, nous ne sommes pas préoccupés par les profits à court terme. Nous nous concentrons davantage sur le long terme, avec des objectifs sur 5 à 10 ans. J’ai le regard rivé sur les 2 à 3 prochaines années à venir, et nous investissons continuellement pour le développement de nos technologies.

Sigma développe-t-il encore des objectifs pour l’écosystème Micro 4/3 ?

Nous possédons toujours plusieurs références que nous maintiendrons à notre catalogue. Cependant, nous n’envisageons pas de concevoir de nouvelles optiques Micro 4/3 pour le moment. Peut-être à cause de cela, la demande pour ce format [chez Sigma, NDLR] diminue très fortement, et il est donc assez difficile pour nous de développer de toutes nouvelles optiques pour cet écosystème.

Mais je pense que le Micro 4/3 a de nombreux avantages, notamment sa compacité. Personnellement, j’aime beaucoup ce système. Mais actuellement, la tendance est nettement en faveur du plein format, aux côtés de l’APS-C (qui est également en déclin, d’ailleurs).

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J’espère qu’avec l’arrivée des nouveaux boîtiers OM System la demande se stabilisera, mais elle tend nettement à diminuer en ce qui concerne les objectifs Sigma Micro 4/3. Mais il semble qu’OM-System obtienne de bons résultats avec ses nouveaux boîtiers et objectifs. J’ai donc bon espoir que la demande pour le Micro 4/3 continue d’exister.

Si vous deviez choisir une ancienne optique Sigma à remettre au goût du jour, laquelle choisiriez-vous ?

C’est une bonne question ! À vrai dire, nous avons déjà l’intention de lancer de nouvelles versions d’anciennes optiques reflex. Si je devais en retenir une, je citerais notamment le Sigma 14 mm f/1,8 pour reflex, qui était l’objectif 14 mm le plus lumineux au moment de sa sortie (en 2017, NDLR). J’aimerais beaucoup la mettre à jour pour les usages actuels. D’autant que l’astrophotographie est une discipline très populaire de nos jours. Une focale 14 mm renouvelée serait très pertinente pour ces photographes.

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M. Kazuto Yamaki, président de Sigma Corp.

Merci à M. Yamaki d’avoir répondu à nos questions. Nous tenons également à remercier l’équipe de Sigma France pour avoir rendu possible cette interview.