Interview de Charles Brooks : la beauté intérieure des instruments de musique classique

Révéler toute la beauté intérieure des instruments de musique : c’est le pari de Charles Brooks. Ancien violoncelliste professionnel, ce photographe néo-zélandais a recours à une sonde photographique pour capturer ces photos très originales, qui ont fait le tour du monde. Nous l’avons interviewé pour en savoir plus sur son travail, la méthode qu’il utilise, et le sens de sa démarche

Charles Brooks Architecture in Music
The Exquisite Architecture of Steinway, Part 2. © Charles Brooks

Musique classique et photographie font assurément bon ménage. Pendant plus de 20 ans, c’est au sein d’orchestres prestigieux que Charles Brooks faisait montre de son talent. Aujourd’hui, c’est à travers la photo qu’il nous donne à découvrir la face cachée des plus beaux instruments de musique

À travers ses clichés, l’influence de la photo d’architecture est éminemment présente. Avec un réel sens de la composition, l’artiste nous invite à contempler les volumes jusqu’ici invisibles des instruments qui nous sont habituellement familiers. Il nous invite à découvrir le vaste espace d’un violon, ou les perspectives infinies d’une flûte ou d’un piano de concert

Charles Brooks Architecture in Music
The Exquisite Architecture of Steinway, Part 3. © Charles Brooks

Pour ce faire, Charles Brooks utilise une sonde, introduite avec précaution à l’intérieur des instruments – certains d’entre eux étant âgés de plusieurs centaines d’années. Plus récemment, le photographe a tiré parti d’un Laowa Probe Lens, cet étrange objectif macro permettant de plonger au cœur des objets

En combinant adroitement focus stacking et pixel shifting de son Lumix S1R, il parvient à obtenir des images ultra-nettes, du premier-plan à l’arrière-plan… mais au prix d’un travail fastidieux : plusieurs centaines de clichés sont ainsi nécessaires à l’obtention d’une seule photo !

Comment avez-vous eu l’idée de cette série ? A-t-elle traversé votre esprit avant ou après avoir acheté l’objectif « probe » ?

Cette série est la combinaison de plusieurs éléments. D’habitude, je photographie des concertistes. Mais avec les confinements, la plupart de mes clients étaient bloqués en quarantaine ou ne travaillaient pas. J’ai donc décidé de me tourner vers les instruments autour de moi. 

Au même moment, de nouveaux objectifs-sondes sont apparus sur le marché pour le grand public. Avant, ce type d’objectifs étaient uniquement destinés aux spécialistes, généralement dans le champ médical. 

J’en ai loué pendant quelques jours et ai immédiatement trouvé que les résultats étaient captivants, et toute une série est née à partir de là. 

Charles Brooks Architecture in Music
1995 Low C Prestige Bass Clarinet Part 1. © Charles Brooks

Comment gérez-vous l’éclairage de vos photos ? Utilisez-vous une combinaison de flashs, ou travaillez-vous à la lumière du jour ?

Il est difficile de faire pénétrer suffisamment de lumière lorsque les ouvertures des instruments sont si petites. Au début, j’utilisais des flashs. J’étais satisfait du résultat, mais plusieurs commentaires m’ont fait remarquer que ces instruments ressemblaient à des espaces où l’on pourrait habiter ou se promener. En parallèle, je me suis rendu compte que j’aurais besoin de photos en haute définition afin de pouvoir les tirer en grand format. 

J’utilise maintenant des lumières continues très puissantes conçues par Aputure. Ainsi, je peux utiliser une fonction spéciale de mes boîtiers Lumix : le pixel-shift. Mon boîtier capture 8 images par cliché, en déplaçant légèrement le capteur entre chaque photo pour créer un fichier de 187 millions de pixels. 

Charles Brooks Architecture in Music
The Exquisite Architecture of Steinway, Part 1. © Charles Brooks

Cette solution présente quelques inconvénients : les lampes chauffent beaucoup et peuvent abîmer l’instrument. Il faut donc faire de longues pauses pendant chaque shooting pour être sûr de ne pas dépasser les températures recommandées. 

Il y a aussi une autre difficulté technique. Même avec ces puissantes lumières, je dois laisser le diaphragme de l’objectif grand ouvert pour laisser entrer assez de lumière. Du coup, seule une faible portion de l’image est nette. De fait, je prends au moins 100 photos pour chaque cliché, en déplaçant à chaque fois la mise au point, et je les combine avec différents logiciels pour obtenir une photo qui sera nette, du premier plan à l’arrière-plan. 

Charles Brooks Architecture in Music
2021 Selmer Saxophone. © Charles Brooks

Comment faites-vous pour insérer l’objectif à l’intérieur des instruments ? Pour une clarinette, une flûte ou un piano, cela ne doit pas poser trop de problèmes, mais pour un violon, comment procédez-vous ? Devez-vous démonter l’instrument, ou avez-vous trouvé une manière non-intrusive ? 

Je travaille avec des techniciens et des luthiers pour trouver des solutions sans danger pour pénétrer à l’intérieur des instruments. Pour un violoncelle ou un violon, le cordier est maintenu en place par la tension des cordes. En le retirant, on peut accéder à l’intérieur sans risque d’abîmer quoi que ce soit. 

Pour chaque instrument, je fais extrêmement attention à ne pas l’endommager. Certains instruments sont vieux de plusieurs centaines d’années et coûtent plusieurs centaines de milliers de dollars. 

Kawai Grand Piano Part 1. © Charles Brooks

Quel est l’instrument que vous préférez prendre en photo ? Et, à l’inverse, celui qui s’avère le plus compliqué ? Quelle est votre photo préférée à ce jour ?

Mon instrument préféré est le violoncelle de Lockey Hill, de 1780. Il est en extrêmement bon état pour un instrument aussi âgé, et possède une histoire assez sombre. Lockey Hill a été exécuté pour vol de chevaux peu de temps après avoir terminé de monter ce violoncelle !

Lockey Hill Cello Circa 1780. © Charles Brooks

Au-delà de montrer la beauté des instruments de musique de l’intérieur, quel était votre but avec cette série ?

Nous sommes tellement habitués à voir l’extérieur des instruments ! Je voulais trouver quelque chose de nouveau à raconter à leur propos. Chaque instrument recèle en son sein un petit bout de chaque répétition, de chaque concert, chaque réparation – qu’il s’agisse d’un grain de poussière, une goutte de sueur ou de légères traces d’oxydation. Ils recèlent un véritable héritage, qui nous donnent de petits indices à propos de leur extraordinaire histoire. 

Australian Didgeridoo. © Charles Brooks

D’un point de vue plus personnel, comment liez-vous musique classique et photographie ? Ressentez-vous la même chose en pratiquant ces deux activités, ou est-ce complètement différent ? Et, à ce propos, pratiquez-vous toujours le violoncelle ou êtes-vous photographe à plein temps ?

J’ai pris ma retraite en tant que violoncelliste et pratique maintenant la photographie à plein temps. Le monde de la musique classique est extrêmement concurrentiel, et requiert des niveaux épuisants de détermination, de remise en question et de stress. 

Après 20 ans passés sur scène, je suis heureux de pouvoir vivre la musique classique du côté du spectateur, et de la soutenir d’une manière différente, en aidant les gens à l’apprécier d’une façon plus visuelle.

Fine Wooden Flute. © Charles Brooks

Pour les musiciens classiques, le premier contact avec une potentielle audience se fait davantage par le visuel que par la musique. Il peut s’agit d’une affiche, d’une publicité en ligne, ou d’un article dans un journal. Je pense qu’il est vital que l’image traduise un peu de l’excitation, de l’aspect mystique et de l’extraordinaire précision qui est inhérente à chaque concert. 

Souvent, les musiciens sont tellement concentrés à affiner leur jeu que cet aspect plus visuel demeure ignoré. De cette façon, je peux contribuer à jouer un rôle important dans le milieu de la musique classique, sans avoir à passer des heures tout seul dans une salle de répétition !


Merci Charles d’avoir répondu à nos questions.

Retrouvez le travail de Charles Brooks sur son compte Instagram, sa page Facebook et son site Internet.