Muhammad Ali after first round knockout of Sonny Liston during World Heavyweight Title fight at St. Dominic's Arena in Lewiston, Maine on 5/25/1965. (Item # 1001)

Le dessous des images : le K.O de Muhammad Ali vs Sonny Liston

Dans la série Le dessous des images, nous souhaitons raconter l’histoire qui se cache derrière certaines photos ou images emblématiques, connues ou moins connues, qui ont marqué notre société ou notre regard sur le monde.

Prise par le photographe Neil Leifer le 25 mai 1965
, cette photo a marqué l’histoire du sport et a contribué à construire la légende du célèbre boxeur Muhammad Ali « The Greatest« . La photographie de sport, c’est souvent être au bon endroit, au bon moment pour saisir le geste décisif et fugace. Certains l’appellent le « Joconde de la photographie de sport » : retour sur une photographie qui a marqué l’Histoire.

Muhammad Ali après le 1er round met K.O Sonny Liston durant le World Heavyweight Title fight , St. Dominic’s Arena à Lewiston, Maine le 5/25/1965.
© Neil Leifer

Représentant Muhammad Ali debout après avoir mis K.O le champion de l’époque Sonny Liston ; le cliché immortalise une victoire iconique dans le monde de la boxe, d’autant plus qu’elle advient dès le 1er round après à peine plus de 2 minutes de match. Le match se déroule à Lewiston, une ville du Maine de 40 000 habitants. La ségrégation est encore à l’oeuvre aux États-Unis en 1965. Malcolm X a été assassiné 3 mois plus tôt, Muhammad Ali qui s’appelait jusqu’ici Cassius Marcellus Clay, Jr. vient de se convertir à l’islam pour sortir de son statut d’esclave et change de nom pour les mêmes raisons.

Cette photographie, sonnant la victoire inattendue de Muhammad Ali en catégorie poids lourds contre le champion mondial dès le 1er round, deviendra ensuite associée à son « phantom punch » (le poing fantôme). Ce match était d’ailleurs controversé, car certains disent ne pas avoir vu le direct du droit fatal asséné au visage de Liston qui l’a mis K.O. Ce jour là, Neil Leifer, à l’aube de sa carrière, immortalise un cliché emblématique.

Une photographie innovante et décisive

La photographie de sport demande une attention particulière : les actions s’enchainent vite, le sujet est sans cesse en mouvement. Les réglages doivent être faits en amont afin de ne pas rater les moments de grâce qui feront des photographies décisives.

Dans les années 60, les photographies de sport sont de vraies prouesses techniques. Pour déclencher l’appareil photo à distance il y avait des fils qui couraient le long du mur, il fallait recharger le flash qui permettait de figer le mouvement et de saisir sur pellicule ces actions trop rapides pour les voir à l’oeil nu. L’éclairage des rétroprojecteurs et l’angle en contre-plongée apportent de la force à la composition de cette photo. Elle est en plus innovante pour l’époque. Neil Leifer choisit un plan large alors que la mode est aux plans serrés sur les sportifs, le cliché est en couleur alors qu’à l’époque la presse ne publie pratiquement que du noir et blanc. Le geste de Muhammad Ali et son cri poussé sur Liston à terre est l’empreinte de ce moment décisif.

« Le match Ali-Liston à Lewiston, Maine, je ne vivrais plus jamais une nuit comme ça, jamais. Le combat a duré 2 minutes et 8 secondes. Bon, j’ai fait 3 superbes photographies. » – Neil Leifer

Muhammad Ali – âgé alors de 21 ans – avait déjà gagné une première fois en février 1964 contre Sonny Liston. Il s’agit du match « revanche » où Liston est donné favori à 7 contre 1. Personne ne croit à la victoire d’Ali. Neil Leifer alors âgé de 22 ans se rend à l’événement pour le magazine Sport Illustrated. C’est ce média qui l’a repéré à l’âge de 16 ans pour ses clichés de base-ball, notamment ce touchdown qu’il parvient à capturer en finale de NFL sonnant la victoire du Baltimore contre New-York.

Cela fait plus de 6 ans qu’il pratique la photographie sportive. Et ce ne sera pas son dernier cliché iconique. Ce jour-là, à Lewiston, alors que les photographes se précipitent de l’autre côté du ring, comme on peut le voir sur le cliché, Neil Leifer se tient, par hasard, parfaitement sous le bon angle. Il saisit ce moment où Mohammed Ali, penché sur son adversaire le poing replié contre le coeur lance un cri qui apparait comme un cri de victoire.

« J’étais évidemment sur le bon siège, mais ce qui est important, c’est que je ne l’ai pas loupé. » – Neil Leifer

La composition, l’angle de prise de vue : toutes ces caractéristiques font la vision de Neil Leifer. Un an et demi plus tard, à Houston, il prendra une seconde photographie iconique d’une victoire de Muhammad Ali en plongée complet. Pour réaliser cette photographie d’une symétrie parfaite, il avait fixé son Hasselblad aux rampes d’éclairage.

Photographie aérienne de la victoire de Muhammad Ali victorious après le K.O au Round 3 de Cleveland Williams durant le Championnat du Monde poids lourds à l’Astrodome.
Houston, Texas le 14/11/1966
© Neil Leifer

Neil Leifer suivra ensuite Muhammad Ali tout au long de sa carrière. En combinant des compositions originales et des innovations dans la photographie de sport, ses clichés deviennent mythiques quelques décennies plus tard.

La photographie, un reflet de la réalité qui peut tromper

On pourrait croire sur la photographie à un cri de victoire, alors que le jeune boxeur qui était connu pour ses provocations et ses paroles impertinentes envers ses adversaires criait en fait : « Relève toi tocard ! Personne ne va y croire ! Relève-toi !« . À y regarder de plus près on voit le public et les photographes immobiles, sans expression particulière sinon attendant la suite du match. Personne ne pense à un K.O.

L’arbitre occupé à placer Ali sur un coin du ring alors qu’il invective son adversaire oublie le décompte. Lorsqu’il s’en rend compte Liston est à 17 secondes de K.O au lieu de 10. Après ce cliché figé, dans la salle, le public commence à crier « Chiqué ! Chiqué ! Chiqué ! » puis carrément « Truqué ! Truqué ! Truqué ! ». Le combat fera même l’objet d’une enquête de la part du FBI.

« La photographie ne montre pas la réalité, elle montre l’idée que l’on s’en fait » – Neil Leifer à l’Équipe magazine en Septembre 2007.

Lancée dans les médias à travers le monde comme reflet de cet instant incroyable, cette photo ne rencontre pas de succès à l’époque. Elle ne fait pas la couverture de Sport Illustrated mais est relayée en 4e page, et n’atteint pas le podium du concours organisé par Encyclopedia Brittanica même si elle obtient une mention honorable. Désormais, elle a une renommée mondiale.

La photographie, si la carrière de Muhammad Ali n’avait pas décollé ensuite, aurait été celle d’un moment sportif historique. Avec l’effet du temps, elle est devenue un symbole contribuant au mythe du boxeur. On ne peut jamais savoir sur l’instant la place que la photographie prendra, le rôle qu’elle aura.

Et en bonus : la photographie des Beatles avec Muhammad Ali juste avant le match décisif de ce 25 mai 1965. Ils pronostiquaient la victoire de Liston au 1er round et souhaitaient être photographiés avec lui pour l’illustration du Times, mais ce dernier n’était pas disponible pour les recevoir. À l’époque les 2 boxeurs étaient les stars, on ne savait pas encore la renommée qu’allaient acquérir les Beatles. Ils doivent donc poser avec Muhammad Ali, qui, personne ne le présageait, deviendra champion mondial. La photographie les représente tombant en effet domino face au poing du célèbre boxeur.

© Harry Benson

Certaines photographies de sport deviennent mythiques et historiques, alors même qu’on ne soupçonne pas la portée de l’image sur le moment. Neil Leifer pense que si la photographie est devenue une icône par la suite, c’est en raison de la renommée qu’a obtenu Muhammad Ali dans sa carrière. Mais Neil Leifer a su se démarquer par ses compositions et ses innovations. Aujourd’hui, elle a traversé les temps et évoque la légende Muhammad Ali, ses scandales, ce match mythique de l’histoire de la boxe et son implication politique dans l’appel à l’émancipation.