« Attrape-moi si tu peux » : Le faux photographe de guerre qui a dupé les médias et le monde

Les réseaux sociaux omniprésents et l’accès universel à Internet ont vu naître une nouvelle forme d’escroquerie : l’usurpation d’identité numérique. L’histoire d’Eduardo Martins, imposteur des temps modernes, nous enseigne avec douleur qu’un photographe sur Internet n’est pas forcément celui que l’on croît.

C’est ainsi que durant 3 ans, « Eduardo Martins » s’est fait passer pour un photographe reporter de guerre, dupant les médias de plusieurs pays. On a pu voir ses photographies dans Al Jazeera, the Wall Street Journal, BBC, Le Monde, The Telegraph, Vice, Deutsche Welle, BBC Brasil ou encore sur les banques d’images Getty et l’agence Nurphoto. Pourtant ces photographies ne sont pas de lui.

Se présentant comme un photographe de guerre affilié aux Nations-Unies, Eduardo Martins, dont le compte Instagram est à présent supprimé, comptait 120,000 followers. Parmi ses abonnés on retrouvait des photographes renommés et le compte des Nations Unies. Pour ses images de profil, il a usurpé les photos Instagram du surfeur Max Hepworth-Povey.

Photographies du profil Instagram d’Eduardo Martins prises sur le compte de Max Hepworth-Povey
Capture d’écran du compte Instagram d’Edu Martins à présent supprimé

Passé maître de l’arnaque photo en réseau, Eduardo Martins prétendait s’être rendu sur les terrains des conflits les plus chauds comme la bande de Gaza, la Syrie, l’Irak et affirmait même avoir observé et photographié la bataille de Mossoul. Il a également donné des interviews à différents médias sur son supposé travail dans lesquelles il se présentait comme originaire de Sao Paulo, âgé de 32 ans, passionné de surf et atteint de leucémie depuis l’âge de 25 ans, maladie à laquelle il aurait survécu par miracle ce qui lui donnait, d’après ses récits, la force d’aller photographier sur le terrain des scènes de guerre.

Fernando Costa Netto, photographe et reporter brésilien pour le site de surf Waves, avait fait une interview sur Martins dans lequel il soulignait son « talent exceptionnel ».

Grâce à un détail technique, un photographe décèle l’arnaque

Le photographe Ignacio Aronovich originaire de Sao Paulo n’avait jamais entendu parler d’Eduardo Martins mais, curieux, il lit l’article de Fernando Costa Netto.

Il note dans une série de photos prises par Eduardo où apparaissent d’autres photographes que le déclencheur de l’appareil est à gauche alors que sur tous les modèles disponibles sur le marché le bouton se situe à droite.

Photographie inversée par Eduardo Martins

Le photographe met le doigt sur l’utilisation systématique de la symétrie horizontale sur les photos d’Eduardo et effectue une recherche d’images à partir des photos remises dans leur sens. C’est ainsi qu’Aronovich découvre que la majorité des photographies sont en vérité celles de l’américain Daniel C.Britt, qui vit actuellement en Turquie.

Ignacio Aronovich a posté sur sa page Facebook la comparaison entre l’image originale, et l’image retouchée par Eduardo Martins :

Photographies de guerre de Daniel C.Britt à droite -Photographies inversées par Eduardo Martins à gauche

La luminosité et le contraste ont été modifiés, les images recadrées puis inversées. Aronovich ajoute qu’il a remarqué tout de suite que ces images « n’avaient aucune substance ». « Les photographes ont leur propre style reconnaissable dans leurs photographies », il semblait évident pour Aronovich que Martins puisait dans des sources différentes et que les photographies avaient été prises par plusieurs photographes.

Quelques clics qui prennent vite de l’ampleur

Le surfeur Max Hepworth-Povey n’était pas au courant qu’on reprenait ses photos Instagram sur un autre compte, usurpant ainsi son identité. Interrogé par BBC Brazil il raconte comment il l’a appris :  » je me relaxais, je buvais un verre de vin quand un ami du magasine Wavelength m’a contacté en me disant que quelqu’un avait volé mon identité pour une sorte de canular sur internet ». Il ajoute : « Quand mon ami m’a montré les photos, je pensais que c’était une blague. Mais en fait mes photos ont vraiment été volées ».

Personne n’a jamais vu Eduardo Martins en personne. L’Organisme des Nations Unies pour qui il disait travailler n’a jamais entendu parler de lui tout comme les autorités ou les ONG en Syrie et en Irak.

Inconscient de la situation jusqu’alors, le photographe Daniel C.Britt a indiqué qu’il ne suivait pas vraiment les contenus en ligne et n’avait donc aucune idée que ses photos étaient revendues « par un geek des réseaux sociaux pendant ces deux dernières années ». « Eduardo Martins, qui qu’il soit, ajoute t-il, est assez malin pour glisser entre les mailles du filet de plusieurs magasines renommés comme The Wall Street Journal. »

Il déplore cependant la portée du geste d’Eduardo Martins. « Je suis simplement déçu qu’il ai corrompu les légendes des clichés et donne une raison de plus au gens de ne pas faire confiance aux médias. Chaque photographie faisait partie d’un moment et d’un endroit spécifique.  » « Certaines personnes qui apparaissent sur les photographies ne sont plus parmi nous » ajoute Britt, « Leurs vies comptent. Les vies de mes interprètes et de tous ceux qui ont participé au projet comptent. La valeur de ces photos est plus que les clopinettes qu’Eduardo a reçu de ces agences ou que son nombre de « Like » sur Facebook.  »

Tel un Frank Abagnale des temps modernes, le faux photographe de guerre qui se faisait appeler Eduardo Martins s’est servi des réseaux sociaux pour se faire connaitre. Il entretenait par exemple des relations virtuelles avec des petites amies qu’il ne rencontrait jamais afin d’obtenir plus de commentaires sur ses pages Facebook et Instagram et gagner en authenticité. En fuite à ce jour, il a dit à Fernando Costa Netto qui lui demandait une clarification sur WhatsApp suite à l’appel de différents médias : « Je suis en Australie, j’ai décidé de passer un an dans un van. Je vais tout supprimer en ligne et me couper d’Internet. Je veux être en paix, on se voit quand je reviens » Il lui laisse une adresse email yahoo sur laquelle il serait joignable.

Déçu et choqué, Fernando Costa publie un article intitulé « Eduardo est mort » sur Waves.

Quelles répercussions pour les médias et banques d’images ?

On ne sait pas exactement quelles sommes Martins a perçues avec l’ensemble des photographies qu’il a vendu aux différents médias et banques d’images. Les images semblent avoir été vendues à 575 dollars l’unité sur Getty Images d’après le site SBS Portuguese, les autres médias ne préférant pas se prononcer sur les sommes perçues. Vice News et BBC Brazil affirment ne pas avoir payé pour utiliser les images.

Comment ce photographe a-t-il réussi à crédibiliser son identité virtuelle ? La photographe Nina Keller avait interviewé Eduardo Martins pour le M Journal. Dans cette interview, il disait ne pas avoir peur de la guerre, seulement du cancer. Nina Keller dit avoir été piégée et ne l’avoir jamais rencontré, mais avoir reçu des fleurs, des appels et des messages tous les jours.

En réalité, personne n’a jamais vu « Eduardo Martins » : aucune autorité publique, ni en Irak, ni en Syrie ou à Gaza, n’a jamais entendu parler du soi-disant photographe, aucun média ou journaliste ne l’a rencontré en personne. Même chose du côté de ses petites amies en ligne, contactées par BBC Brazil.

En août il envoie un WhatsApp à BBC Brazil dans lequel il dit être « un humanitaire volontaire pour l’organisation des Nations-Unies », « je travaille dans les camps de réfugiés », ajoute-t-il. Le nom de Martins ne figure dans aucun registre du Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies comme le confirme Adrian Edwards, porte parole du HCR.

Manuel Romano, directeur de l’agence NurPhoto indique avoir « immédiatement supprimé tous les contenus, images et photographies provenant d’Eduardo Martins puis alerté et invité ses clients et partenaires à en faire de même ».

Il déclare que la première fois que « Martins » a contacté NurPhoto à partir de son site web en 2015, « il se présentait comme un photographe et revendiquait être l’auteur d’un portfolio complet de photographies et d’images professionnelles. De plus, ses images étaient disponibles sur ses profils sur les réseaux sociaux et également sur son site officiel ». Les réseaux sociaux et le site du photographe ont donc joué un rôle dans la fabrication de son personnage et construit la confiance des médias et banques d’images qu’il a abusés.

Manuel Romano ajoute « après avoir considéré tous les faits reportés dans les news avec attention, et considérant qu’il semble impossible de trouver Eduardo Martins, voyant également que son site personnel et ses profils sur les réseaux sociaux ont été supprimés, nous craignons effectivement que notre agence ai été victime d’une fraude et que cela puisse causer de sérieux dommages dans la réputation de notre compagnie. » NurPhoto a déposé une plainte en droit pénal à la police italienne contre Martins.

Internet et les différentes applications photo en ligne sont des outils à double tranchant : pratique pour se faire connaître ou partager son travail au plus grand nombre mais l’absence de traçabilité et de rencontre physique ne permet plus une fiabilité totale des sources. L’accessibilité des contenus peut mener à des usurpations d’identité et les photos peuvent facilement être vidées de leur sens et détournées par des personnes peu scrupuleuses.