Zoom photographe : Saul Leiter

Saul Leiter se destinait à une carrière de peintre. C’est finalement avec la lumière qu’il peindra en devenant photographe. Découvert tardivement, à l’âge de sa retraite, sa vision onirique et poétique des rues de New York en fait un maître de la photographie. Zoom sur ce photographe d’après-guerre pionnier de la couleur, qui en influencera plus d’un.

© Saul Leiter

Né à Pittsburgh, Pennsylvanie en 1923, Saul Leiter est le fils d’un rabbin de renommée internationale. Destiné à suivre les pas de son père aux côtés de ses deux frères, il suit des cours à l’école de théologie de Cleveland. C’est à la fin de son adolescence qu’il commence à se passionner pour l’art. La tête plongée dans les livres, il s’éprend du mouvement impressionniste et des Nabis, en passant par l’expressionnisme abstrait et les estampes japonaises. Il admire Vermeer, Degas, ou encore Bonnard et Vuillard. De ces influences vient l’inspiration picturale de ses photographies, et la profondeur de ses couleurs.

© Saul Leiter

À l’âge de 23 ans, il s’enfuit à New York pour poursuivre son rêve : devenir peintre. Son père n’acceptera jamais qu’il embrasse une carrière artistique.

Saul Leiter a l’œil, il parvient à transformer des scènes banales et informelles du quotidien en moments uniques. Dans ses photographies, les échelles et les dimensions sont réinventées, les perspectives et l’espace déconstruits par des jeux de reflets et de transparence.  À travers ses photographies, Saul Leiter a su capter la beauté du monde.

« Il y a beaucoup de choses magnifiques autour de nous, et les gens ont tendance à ne pas le remarquer. »

© Saul Leiter

« Certains des bons travaux que j’ai réalisés, ce sont des photographies prises dans mon propre voisinage. La rue est comme un ballet, on ne sait jamais ce qu’il va s’y passer. »

© Saul Leiter

À New York, il rencontre le peintre Richard Poussette-Dart qui expérimente la photographie à cette époque et W.Eugene Smith. Ils le poussent à photographier. Après avoir vu l’exposition d’Henri Cartier-Bresson au MoMa de New York en 1947, il décide de devenir photographe. Il commence à flâner dans les rues de New York avec son Leica 35 mm, tout en poursuivant la peinture.

Un pionnier de la photo couleur

On plonge dans l’univers new-yorkais des années 50 à travers les photos mystérieuses, intrigantes et poétiques de Saul Leiter.

© Saul Leiter

Dans les photographies en noir et blanc de ses débuts, on voit les prémices du style qu’il adoptera avec la couleur. Elle sont informelles, « casual ». Il photographie déjà des silhouettes, joue sur les flous et l’effet clair-obscur.

© Saul Leiter

Il réalise également des photographies plus intimistes que ce qu’il produira par la suite. C’est à cette période que commence sa liaison avec la peintre Soames Bentry qui sera sa compagne pendant 40 ans et l’un de ses sujets de photo. Son studio de New York accueille également des modèles et il expérimente la photographie de nu. Les tirages sont réalisés par ses soins, les dégradés de gris et de noir travaillés avec précision.

© Saul Leiter

Au début des années 50, le photographe plasticien décide de passer à la couleur à une époque où seulement le Noir et Blanc était jugé valable dans l’expression artistique. Saul Leiter se moque des consensus, il souhaite expérimenter le médium photographique. Il combine alors les deux supports.  Il rachète des pellicules périmées chez de petits fabricants. Le procédé couleur est en développement — même si la technique existe depuis 1907 avec l’autochrome — et les pellicules coûtent cher. Le résultat donne une colorimétrie imparfaite et un certain style à ses photographies.

Il ne développe pas ses photographies couleur, dans un soucis d’économie et les passe sur diapositives avec ses amis, dont Robert Frank fait partie, « A la fin, on s’applaudissait mutuellement » raconte-t-il.

C’est ainsi que Saul Leiter devient l’un des pionniers de la photographie couleur aux côtés des photographes de la « New York School of Photography » comme Helen Levitt, Ernst Haas, Diane Arbus ou encore Robert Frank.

© Saul Leiter

Vivant dans son studio à Manhattan, il photographie alors les rues de New York et les banlieues américaines comme Lanesville, mais pas seulement. Certaines de ses photographies sont prises à Paris, à Rome et en Espagne.

Paris (1959) – © Saul Leiter

Une photographie de rue singulière

Ce sont des ambiances, des atmosphères, des impressions que saisit le photographe à travers ses photographies, plus qu’une représentation fidèle des rues de New York.

«  J’ai simplement regardé le monde, pas vraiment prêt à tout, mais en flânant. »

Sa photographie est fragmentaire. Il joue avec les réflexions, la lumière, le flou, pour créer des photographies pleines d’abstraction et d’onirisme. C’est une photo de textures, de matière dans lesquelles il suggère plus qu’il représente.

Saul Leiter se révèle avoir un véritable talent pour capter la beauté dans le tumulte new-yorkais. Paradoxalement, ses photographies semblent apaisantes et empreintes de silence.

Il photographie les passants de loin, à travers une vitre, dans la brume et le brouillard, réintégrant l’humain dans l’environnement pour mieux démontrer sa vulnérabilité. Son objectif est rivé sur les rues de New York, des objets, des passants, une histoire qui se dessine, souvent à travers une vitre embuée.

© Saul Leiter
© Saul Leiter

Le photographe, personnage discret et singulier refuse toute analyse ou explication sur son travail. Pour lui la photographie est intuitive, il a observé quelque chose d’intéressant et il a appuyé sur le déclencheur.

Un succès tardif

Edward Steichen, à l’époque conservateur en chef de la photographie au MoMa intègre 25 photographies en noir et blanc de Saul Leiter lors de l’exposition « Always the Young Stranger », au MoMa en 1953 puis une vingtaine de clichés couleur en 1957, pourtant ce n’est que bien plus tard que le photographe se fera connaître.

S’il est aujourd’hui renommé et reconnu de tous, Saul Leiter reste un grand anonyme pour ses contemporains, ce qui lui a permis de garder ce regard de « flâneur » au détour des rues durant toute sa carrière.

« Être inconnu m’a toujours paru une position confortable. »

Toutefois, en 1957 il se fait remarquer par Henry Wolf, directeur artistique mythique, qui publie ses images dans le magazine Esquire puis dans Harper’s Bazaar pour lequel il travaillera pendant 20 ans.

Il devient alors photographe de mode dans les années 70/80, faisant ses débuts dans son studio de Bleecker Street. Ses clichés sont publiés dans British Vogue, Queen, Elle, Show et Nova. En parallèle il poursuit ses travaux personnels.

© Saul Leiter, Harper’s Bazaar

Ce n’est que dans les années 90, à sa retraite, que son travail de photographie de rue est encensé. C’est grâce à la Howard Geenberg Gallery de New York qui organise une exposition de ses photographies noir et blanc en 1993. Agnès Sire, directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson s’y rend et est frappée par les clichés poétiques. Elle l’expose en 2008. C’est un succès, la file d’attente est pleine, la Fondation bat ses records de fréquentations.

Le premier ouvrage de Saul Leiter, « Early Color », dont Martin Harrison est l’auteur est publié en 2006. Un succès tardif et une analyse de son travail qui rend le photographe dubitatif.

« Je ne sais pas comment j’ai pris telle photo à tel moment ni pourquoi. J’allais à la fromagerie, à la librairie, au café, il y a des choses qui me plaisaient, je prenais des photos. Je ne sais pas si j’ai réussi à faire ce que je voulais : je n’ai jamais su ce que je voulais faire ! »

© Saul Leiter

Saul Leiter est décédé chez lui, dans l’East Village à New York en novembre 2013. De sa vie, on retiendra que Saul Leiter était un photographe intuitif, qui a apporté une véritable pierre à l’édifice de la photographie de rue, en flânant au gré des rues, ne se prenant jamais au sérieux. Sa vision et ses expérimentations du médium laissent une trace indélébile dans l’histoire de la photographie. En 2012, le documentaire « In no Great Hurry » retrace son œuvre. En 2015, Todd Haynes s’inspire de sa photographie pour le film « Carol ».

Pour découvrir les travaux de Saul Leiter, rendez-vous sur le site de la Fondation Saul Leiter.