Photo de Sungsoo Lee
Las Vegas © Sungsoo Lee

Sungsoo Lee : contrastes d’un street photographer, entre modernisme et classicisme

Sans révolutionner le genre, Sungsoo Lee propose une vision classique, mais efficace et maîtrisée de la photographie, à cheval entre la très populaire « street photography » et la photo de voyage. Surtout en noir et blanc, un peu en couleur aussi. Petite balade piétonne dans son quartier photographique.

Sungsoo Lee est un photographe coréen de 43 ans vivant à Irvine, Californie. Il pratique la photographie depuis une vingtaine d’années, mais n’a commencé à faire son trou sur le Net que depuis 2012 via Tumblr, Flickr et compagnie. De son propre aveu, il n’estime être professionnel que depuis 2013.

Photographe de rue

C’est le portrait type du « street photographer », le photographe de rue. Des prises de vue spontanées dans le cœur de l’action, très souvent en extérieur, figées la plupart du temps à 30 ou 50mm. L’humain est presque toujours au centre (façon de parler) de ses compositions, englobé dans un contexte qui permet de situer l’action. Les gros plans sont rares. L’émotion est forte. Les images parlent d’elles-mêmes.

Photo de Sungsoo Lee
Tokyo © Sungsoo Lee

Sungsoo Lee peut rester plusieurs jours sur un même lieu. Il erre dans les mêmes rues encore et encore, croisant plusieurs fois les gens du coin, à la recherche du fameux « eye contact » qui déclenche tout. Ensuite, bien souvent, il essaie de se rapprocher d’eux.

« Ça demande du courage de faire ça, mais j’essaie toujours de créer une relation avec le sujet d’une image. »

Lee shoote surtout en digital, mais aussi en argentique. C’est le cas de nombreux photographes de rue ayant développé un sens artistique et pas seulement journalistique ou documentaire. Un travers « vintage » qui vient très certainement des influences de l’âge d’or de la photographie de rue entre 1930 et 1980, entre Paris, New York et partout dans le monde. Une période portée, entre autres, par l’agence coopérative Magnum, mondialement célèbre pour les photographes qu’elle représente encore aujourd’hui. Petit extrait : Capa, Cartier-Bresson, Depardon, Seymour, Sieff, McCurry, Salgado, Webb, Gilden…

Pour Sungsoo Lee : street photography et Leica restent les complices de toujours

L’ombre de Leica n’est pas loin non plus… Ce célèbre fabricant de matériel photographique allemand est devenu une référence en matière de photographie de rue. Lee semble ainsi très attaché à son M9-P et son M Monochrom : deux boitiers numériques haut de gamme dont le second se concentre exclusivement sur le noir et blanc. Mais son équipement de prédilection reste le Leica MP avec un jeu d’objectifs fixes à 28, 35 et 50mm ainsi que des pellicules Kodak Tri-X.

Photo de Sungsoo Lee
Série « Men Playing Card » à Ankara © Sungsoo Lee
Photo de Sungsoo Lee
Paris © Sungsoo Lee

Rue ou voyage, noir et blanc ou couleur : faut-il vraiment choisir ?

En observant son travail, on remarque rapidement deux choses : Sungsoo Lee aime autant photographier des inconnus dans la rue et capturer un instant (près de chez lui ou en voyage) que réaliser un reportage au long cours sur une thématique particulière. Ce fut le cas en 2014 par exemple, lorsqu’il est parti photographier les habitants de Tacloban aux Philippines après le passage du cyclone Haiyan, le plus important de toute l’histoire des Philippines. Il a nommé ce documentaire « Danger Zone » : un travail qui a été récompensé et reconnu professionnellement par la suite.

Photo de Sungsoo Lee
Série « Danger Zone » à Tacloban © Sungsoo Lee
Photo de Sungsoo Lee
Série « Danger Zone » à Tacloban © Sungsoo Lee
Photo de Sungsoo Lee
Manille © Sungsoo Lee

« Habituellement, je préfère les photos en noir et blanc , parce que je pense que le noir et blanc exprime l’émotion humaine mieux que la couleur. »

On remarque également une nette dominante du noir et blanc dans son travail. Un code esthétique qu’il maîtrise incontestablement. Sans exclusivité pour autant. La couleur reste présente, comme lors de ce voyage au Tibet, dans le Larung Gar, au cours duquel Lee photographie de jeunes moines en apprentissage. Il utilisera pour l’occasion des films diapo car « le rouge de leurs habits transmettait l’identité de ce peuple », nous a-t-il confié.

Photographier le Tibet en noir et blanc passerait presque pour une aberration tellement les couleurs sont vives et riches dans les monastères. Ce choix lui a été bénéfique puisque, suite à ce reportage intitulé « Praying Valley », il explique avoir commencé à vivre enfin de la photographie.

Photo de Sungsoo Lee
Série « Praying Valley » à Larung Gar © Sungsoo Lee

Ce tiraillement entre noir et blanc et couleur, de nombreux photographes numériques l’expérimentent régulièrement au moment de traiter leur photo dans leur logiciel préféré. Lee semble ne pas déroger à la règle. Une bonne partie de ses clichés sont en effet présentés parfois en couleur, parfois en noir et blanc selon les plateformes de diffusion.

La critique facile…

Sur le plan esthétique, certains pourraient reprocher à Sungsoo Lee de manquer de créativité dans le traitement de ses images. Les contrastes sont toujours très fortement accentués, les coins souvent assombris et la profondeur de champ très réduite. Des pratiques éprouvées chez de nombreux street photographers ou photographes de voyages comme William Klein, Rui Palha, Sebastiao Salgado ou plus récemment Junichi Hakoyama. S’il exploite l’influence de ses pairs, la technique est toutefois maîtrisée et le résultat vraiment efficace.

On pourrait aussi lui reprocher de traiter des sujets déjà bien délavés comme les voyageurs en train en Asie, les passants dans la rue un soir de pluie, les moines tibétains vêtus de rouge, etc. Mais ça serait oublier trop vite le reste de son travail, bien plus personnel.

Et puis aujourd’hui, une photo réussie est rarement seule à s’afficher sur la toile. Le Web nous facilite trop le travail de comparaison, là où un photographe n’est pas forcément allé chercher de l’inspiration chez ses confrères ; il a juste shooté à l’instinct, mais n’était simplement pas le premier à poser l’œil sur sujet un peu trop évident. Les méfaits de la mondialisation…

Photo de Sungsoo Lee
Seoul © Sungsoo Lee
Photo de Sungsoo Lee
Tokyo © Sungsoo Lee

Pourtant, à y regarder de près, la créativité ne manque pas dans le travail de Sungsoo Lee. Peut-être plus dans la composition, les angles de vue (souvent en plongée), la constante recherche d’une lumière atypique et surtout cette impressionnante faculté à rendre intéressante et esthétique une scène de rue tout à fait banale,  qu’on imagine capturée près de son domicile ou de son hôtel.

Comme quoi l’image parfaite ne se trouve pas forcément au bout du monde, mais peut-être tout simplement en bas de chez soi.

« Ma passion pour la photographie m’a empêché de poursuivre toute autre carrière. Le simple fait fait de tenir mon boitier entre mes mains me rend heureux. »

Découvrez plus largement le travail de Sungsoo Lee sur son site officiel ou sur sa page Flickr.