Zoom photographe : Bruce Davidson

Pauline est la créatrice du webzine culturel The Arts Factory Magazine

“Si je dois chercher une histoire à raconter, elle est dans ma relation avec le sujet – c’est l’histoire qui se raconte à moi, plutôt que moi qui raconte l’histoire. »

Cette citation de Bruce Davidson explique une grande partie de son travail. Né en 1933 à Chicago, il débute très tôt – à dix ans – la photographie, en utilisant la chambre noire que sa mère lui a construite. Davidson sillonne les rues de Chicago à la recherche de moments dans lesquels il pourrait se trouver une place. Plus que des moments, c’est presque dans la vie des gens que Davidson cherche à se glisser.

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Pour son service militaire, le photographe est envoyé en France où il rencontrera Henri Cartier-Bresson, un des créateurs de l’agence photo Magnum que Davidson intégrera en 1958.

C’est avec cette expérience que Davidson retourne aux Etats-Unis dans les années 60 et se met en quête des communautés marginales à photographier. Depuis toujours engagé dans des causes sociales et sociétales, le jeune photographe traîne dans Harlem, avec son appareil photo. Il se fait connaître et reconnaître par les habitants du quartier, gagne petit à petit leur confiance jusqu’à s’insérer dans leurs vies. Davidson s’applique ainsi à montrer les maux de ces américains qui vivent dans la misère et la pauvreté ; en mal d’insertion, lui qui y parvient particulièrement facilement.

Pour chacun de ses clichés, Davidson dit ne jamais s’exclure de ses photos, mais insiste au contraire pour être présent dans le moment, parmi les sujets. « J’étais quelqu’un de l’intérieur, de leur maison, de leur âme, de leur être, de leur famille », expliquera-t-il plus tard.

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Après avoir lu un article sur le gang de Brooklyn appelé The Jokers, Davidson rentre en contact avec ces jeunes à peine âgés de 16 ans. Il les suit pendant quelques mois, entre leurs vies à Brooklyn, dans leur diner du Helen’s Candy Store sur la 7ème rue et 8ème Avenue, à Prospect Park ou à Coney Island, immortalise l’ennui, la rage, les jeunes amours. Davidson photographie ainsi ces beaux adolescents aux airs de James Dean, ce gang qui meurt d’ennui tout en essayant de rester « cool ».

Quelque chose de douloureux se dégage de ces photos. La colère de ces jeunes adolescents qui fuient leur quotidien en reconstituant une famille avec leurs amis. « Avec le temps, ils m’ont permis de voir leur peur, leur dépression et leur colère », se rappelle Davidson. Des parents souvent alcooliques, la misère, la violence, le manque d’éducation et d’avenir ; les circonstances ne facilitent pas la vie de ces adultes en devenir.

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Sur la photo ci-dessus, au diner du Helen’s Candy Store à Brooklyn, un des membres du gang des Jokers tâche de tuer le temps en dehors de chez lui. Il apparaît ici innocent, tel un simple adolescent qui attend presque l’âge adulte, celui où il pourra imaginer partir de chez lui, quitter cette vie remplie d’attente et de lassitude.

Une autre destinée attend cependant les Jokers quand un membre plus âgé du gang viendra tirer ses camarades de cette quiétude mortifère en introduisant la drogue dans leur quotidien.

Sur les six membres du gang des Jokers, un seul survivra des méfaits de l’addiction. Ironie du sort, ce même survivant, Bob Powers, le leader des Jokers rentrera en contact avec la femme de Davidson dans la fin des années 90. Emily Davidson en écrira un livre , Bobby’s Book, sur cet homme qui s’est perdu quelque part dans son adolescence et s’est retrouvé aujourd’hui en devenant conseiller en toxicomanie.

USA. New York City. Coney Island. 1959. Brooklyn Gang.

Le recul historique permet une autre lecture de ces images. On connaît aujourd’hui le triste sort de Cathy, la jolie adolescente qui se recoiffe dans le miroir d’un distributeur de cigarettes en attendant le Staten Island ferry. Elle, dont la beauté était comparée à celle de Brigitte Bardot, pleine de coquetterie et d’insouciance, a découvert le désenchantement en grandissant. Elle se suicidera en se tirant une balle dans la tête bien plus tard, ayant atteint l’âge adulte. Comme s’il était impossible pour ces jeunes adolescents d’échapper à leur destinée mortifère.

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USA. New York City. 1959. Brooklyn Gang.
USA. New York City. 1959. Brooklyn Gang.